Ulysse et Cyrano

Ulysse et Cyrano

8 septembre 2024 0 Par Paul Rassat

Drôle d’attelage ! Ulysse et Cyrano dans un même livre. Les deux héros, ou plutôt leurs images traversent le temps, les pays pour se retrouver réunis dans la même histoire par leur passion. Car tous les deux sont mus par une passion commune : la cuisine. Excellent travail de feuilletage réalisé par Stéphane Servain, Xavier Dorison et Antoine Cristau chez Casterman.

In voluptate veritas

La cuisine ne se contente pas d’exécuter des recettes. «  Réaliser une recette, c’est la jouer. Ensuite, un cran au-dessus, il faut savoir l’interpréter. Y mettre sa personnalité. » La devise du Cyrano de ce livre est « In voluptate veritas. » Dans le plaisir la vérité. Il ne s’agit pas de prendre du plaisir, comme notre époque le serine mécaniquement. Des bouts, des tranches de plaisir mesurable. Non, il faut plonger dans le plaisir. S’y adonner.

Délicieux

Si cet album rappelle très agréablement le film Délicieux, – on croit même reconnaître Gregory Gadebois– il est à lui-même un univers complet. Il fait vivre toutes les facettes de la cuisine : l’héritage, la tradition, la transmission, la fidélité mais aussi la rébellion, la révolution et l’indiscipline nécessaire pour s’affirmer. La dimension intime, sociale, historique est présente.  De toutes ces facettes, aucune ne prévaut sinon la passion.

L’indispensable débat

Comme dans tous les arts le débat est inévitable. La querelle des anciens et des modernes donne celle de la cuisine bourgeoise ou traditionnelle et de la cuisine moderne. Tout ceci parcourt le livre et le fait vivre, enrichit les personnages et le lecteur. On y confirme qu’il faut commettre des erreurs, les reconnaître, les accepter mais ne pas les renouveler pour apprendre et progresser. Il faut faire preuve de modestie, d’humilité ( ce qui nous rapproche de l’humus, de la terre indispensable  aux produits de la cuisine).

Cyrano ?

Comme le héros de Rostand, il a du tempérament, du panache, le goût de la querelle, de la fierté et de la générosité. Il s’enflamme facilement. Il s’oppose à la cuisine moderne comme le Cyrano de Rostand à la préciosité, mais apprend à composer par amour de la cuisine comme son inspirateur compose par amour de Roxane. Et puis, clin d’œil, notre héros se blesse à la tête dans un accident de side car ! Humour et humus !

Ulysse ?

Le véritable Ulysse est connu pour sa ruse, l’art de la parole. Le nôtre dissimule assez bien. Mais au fond, le voyage d’Ulysse, l’Iliade et l’Odyssée, n’est qu’une métaphore de voyage : un départ pour revenir chez son véritable chez soi débarrassé des prétendants, confirmé dans l’amour de Pénélope et la fidélité de ses proches. Le voyage d’Ulysse est une révélation et une confirmation. L’Ulysse de cet album trouve son véritable univers en déclinant un avenir doré tout tracé pour lui par quelqu’un d’autre. Il s’émancipe de l’autorité paternelle qui veut lui imposer son destin, afin de vivre sa véritable aventure.

L’une des répliques de l’album est «  C’est élégant, mais tu trouves que ça nous ressemble ? » Être fidèle, c’est évoluer, commencer dans les pas de quelqu’un pour progresser par soi-même.

Si ce livre est délicieux, il peut se décliner, comme un récit initiatique, dans tous les domaines de la création. Chacun peut le cuisiner à sa façon ! Il confirme le sens de l’expression «  Entre la poire et le fromage » donné par Talpa.