Un autre monde, de Stéphane Brizé
18 septembre 2022« Il y a assurément un autre monde, mais il est dans celui-ci et, pour atteindre à sa pleine perfection, il faut qu’il soit bien reconnu et qu’on en fasse profession. L’homme doit chercher son état à venir dans le présent, et le ciel, non point au-dessus de la terre, mais en soi. » Ignaz-Vitalis Troxler.
Un monde d’artifices
Dans Un coup de hache dans la tête Raphaël Gaillard montre que la langue rapproche en permettant de communiquer. Elle nous coupe aussi de la relation directe avec la réalité qu’elle refaçonne. De ce point de vue, Un autre monde est un feu d’artifices. Artifices étant à prendre à tous les sens du mot. On y retrouve cette fameuse expression : faire le job. Il y faut du courage, de l’intelligence, des couilles.Mais de quel job s’agit-il ? D’un plan de licenciement. Pour rassurer les actionnaires, il faut « dégraisser ». Le jargon du milieu des affaires s’impose et noie la réalité humaine. Un jargon parfois terre à terre. « Avoir les couilles de couper les branches. « Répondre à une demande exigeante me permet de sortir de ma zone de confort et de progresser » affirme un adepte de la méthode Coué. Le personnage de Vincent Lindon, lui, résiste.
Humaine humanité
« L’entreprise, ce ne sont pas que des chiffres. Ce sont des gens qui travaillent…Le personnel souffre. » Pour diriger, il faut observer, garder le lien, agir en bonne intelligence. Pas à partir d’un bureau et de dossiers.
Le pouvoir des mots
Notre époque développe de nombreux concours d’éloquence. Pourquoi pas ? Mais il faut savoir d’où l’on parle. À partir de quelle base. « Ayez l’objectif de voir toujours plus grand que ce que vous êtes. » Grand pour construire ou pour détruire ? Il faut être hyper performant, hyper compétitif dans quel but ? À quel prix ? « Faire passer l’intérêt général avant ses propres pudeurs, tel est le maître mot pour licencier, dégraisser, couper les branches. Enfumage de la langue des affaires refermée sur elle-même. » Faire le job » signifie tout et n’importe quoi.
NON !
Dire non à ces choix impossibles revient à couper le nœud gordien pour redevenir soi-même. Certains se souviennent peut-être du livre de William Styron Le choix de Sophie. Les nazis lui demandent de choisir lequel de ses enfants elle sauve, et donc lequel elle condamne. Vincent Lindon trouve le pouvoir de dire non. Il sauve ainsi son couple, sa famille et se sauve lui-même. C’est à se demander… Dans le film, son fils fait un séjour dans une structure psy. Il est obsédé par la précision des chiffres. Peut-être serait-ce aux dirigeants qui imposent des stratégies infernales de passer par des structures psy. Ils confondent le courage et la lâcheté, l’intelligence et l’indécence, parlent de démarche constructive alors qu’ils détruisent.
Le pouvoir du silence
Le film est merveilleusement cohérent. Chaque détail y compte sans que rien ne soit pesant. Dans ce verbiage incessant, cet enfumage de mots, les silences sont d’or. Ils permettent aux personnages principaux de se retrouver par-delà le discours déformé des avocats, des procédures légales, de la stratégie, des affrontements divers.
Le pouvoir de parler juste et / ou de se taire. De dire non pour exister, sortir d’un engrenage présenté comme une évidence. Le pouvoir de respirer et de retrouver le monde. Le silence pour écouter sa propre voix.