Une peintre verrière, Claire Dumoulin

Une peintre verrière, Claire Dumoulin

6 avril 2023 Non Par Paul Rassat

Claire exerce sont art de peintre verrière à Collonges, petit village du Clunisois. C’est dans son atelier qu’a eu lieu notre rencontre.

Comment appelle-t-on les gens qui exercent votre profession ?

Des maîtres verriers mais le terme vient du compagnonnage. À l’époque de mon apprentissage les compagnons n’acceptaient pas les filles. On dit sinon vitrailliste mais je ne trouve pas ce mot joli. Je dis « peintre verrier » parce que je suis aussi peintre. On peint avec le verre et on peint sur le verre. Je devrais dire précisément « peintre verrière » puisqu’on peut dire une peintre.

Qu’est-ce qui vous a menée vers cette activité ?

Des chemins qui zigzaguent pour arriver à un endroit qui me convient. Au collège, je rêvais de travailler dans la pub parce que j’aimais dessiner. C’est le seul métier auquel je pensais qui incluait le dessin.

Quand vous créez ou restaurez un vitrail pour un monument religieux, vous faites de la pub pour Dieu ?

Je me pose la question (rires). J’ai quand même évolué un peu depuis le collège ! Après la 3°, j’ai envisagé d’intégrer les Arts Appliqués, ce que j’ai fait. Mais entre temps j’avais grandi un peu et réalisé que la pub n’était pas ce que je voulais faire de ma vie. Je me suis orientée vers l’architecture d’intérieur, mais ce n’était toujours pas ça. Elle a été une excellente formation cependant. En cours d’histoire de l’art, on nous a proposé de faire des exposés sur des thèmes touchant à l’architecture. Parmi ceux-ci figuraient les vitraux de la cathédrale de Chartres. J’habitais en région parisienne et prenais tous les jours le train La Verrière / Paris. La ligne menait à Chartres, c’était simple pour y aller. C’était mon destin ! J’ai eu droit à une visite inoubliable avec la conservatrice de l’époque. J’ai été subjuguée par  les différents niveaux de lecture qui donnent une cohérence complète. La cohérence complète du bâtiment à laquelle participe chaque détail. L’ensemble est grandiose, les couleurs, la beauté. Mais intellectuellement on entre dans les détails aussi, tout se recoupe. Je me suis dit que c’était un métier, pas loin de ce que j’avais commencé. Je sentais aussi une sorte d’urgence à quitter la région parisienne, le cocon familial pour grandir. D’où la décision d’apprendre le métier dans un atelier. Je n’ai pas reçu beaucoup de réponses positives. C’était un métier d’homme !

Pour quelle raison ?

Il y a une question de tradition et, je l’ai dit, le compagnonnage n’était pas ouvert aux filles. Et puis l’activité est un peu physique. On fait du chantier, de la pose. Il faut monter sur les échafaudages, tenir une perceuse. Je ne sais pas si la symbolique intervient… Le jour où j’ai signé mon contrat d’apprentissage à Massilly, mon patron m’a dit : «  Bien sûr, je ne vous enverrai pas sur les chantiers, ce serait beaucoup trop cruel. » Je lui ai répondu que j’avais envie d’apprendre, que je voulais y aller. «  Ah bon ! Ah bon, alors très bien ! » Dans son idée, ce n’était pas pour une fille de monter sur les échelles. Pourtant, j’y suis montée, sur les échelles !

Votre métier réunit le matériel et le spirituel, l’intellect et la main.

Et l’œil. C’est de la matière au service de l’immatériel. Lorsque j’étais jeune adulte, j’avais beaucoup de mal à m’incarner. J’étais tout le temps dans ma pensée, dans la théorie. Je pense que j’ai recherché un métier manuel pour cette raison aussi. Sans le calculer véritablement. J’ai fait aussi beaucoup de poterie. Elle est d’une plus grande aide encore. Je l’ai ressenti, la poterie me remettait encore plus sur terre que le vitrail. C’est une relation naturelle, comme de chanter. Tout le monde a envie de toucher la terre, a l’instinct de modeler. La poterie m’a beaucoup aidée à me comprendre et à être plus libre dans mon travail.

Vous travaillez plutôt seule ? Votre approche est assez personnelle.

Je collabore souvent avec mon amie Fabienne. Surtout pour les chantiers de restauration. Pour la création, on peut s’entraider sans compter véritablement sur la copine. Il s’agit plutôt d’un échange qui forme une sorte de miroir. Nous pouvons parler de ce que nous faisons en toute confiance. La création est une histoire personnelle qui s’exprime sur plusieurs niveaux. On peut créer en groupe sur un projet, une commande pour laquelle il faut prendre en compte beaucoup d’éléments. Mais je dirais que la création réelle, c’est un peu la création de soi.

Quatre fables interprétées en vitraux par Fabienne Desmet.

Votre formulation est intéressante. En créant on se crée soi-même.

On se crée soi-même pour créer. C’est un aller-retour.

Le vitrail que vous exposez en ce moment illustre parfaitement cette dimension. On peut y voir la représentation symbolique de l’infini, cet aller-retour permanent qui représente aussi votre forme de pensée. Comment conciliez-vous la liberté nécessaire à la création et les contraintes techniques ?

La restauration ne constitue pas une contrainte. On est au service d’un objet qui est déjà réalisé. Aucun questionnement de création. On refait, on répare. Les questionnements ne sont que techniques. Refaire telle pièce ? La conserver ? La création d’un vitrail, en revanche, comporte beaucoup de contraintes. On n’est pas comme un peintre devant son tableau. Il faut partir d’une fenêtre avec des dimensions, avec une orientation : plein ciel ou pas, au sud ou au nord, avec des lumières différentes. Il faudra adapter les couleurs et le verre au contexte. Les commanditaires ont une idée de ce qu’ils veulent. Surtout de ce qu’ils ne veulent pas. Le budget cadre notre action. La réalisation technique de l’image dépend des dimensions… Il faut trouver un équilibre entre les contraintes et la création. Finalement, c’est très intéressant parce que les contraintes nous guident vers une réalisation. Choisir ce métier, c’est choisir les contraintes qui en font partie. Il faut prendre le temps d’arriver à tout mettre ensemble. J’ai toujours l’image des planètes qui viennent d’être créées et prennent du temps pour tourner les unes autour des autres, s’installer de façon équilibrée. Trouver la cohérence nécessite du temps de maturation à l’intérieur. Pas forcément en faisant des dessins.

On revient à la cathédrale de Chartres et à la cohérence de tous les éléments. Michael Edwards cite son ami Alain Berthoz, spécialiste du cerveau et professeur au Collège de France. Il dit «  Notre cerveau est plus intelligent que nous. » Nous le voyons, ajoute Michael Edwards, souvent quand il y a un problème à résoudre le soir et qu’on ne trouve pas la solution, le matin elle est là. Vous ne vous êtes jamais dit «  Zut, je ne vais pas y arriver. »

Non, non, non. Je l’ai expérimenté, ça se met en place, on trouve et ça marche. On finit toujours par trouver une solution.

Quelle relation avez-vous avec votre travail quand il est exposé ? Vous venez de faire deux vitraux pour la chapelle voisine de votre atelier.

Quand j’ai su que j’allais habiter là, j’ai pensé que je proposerais à la commune de faire des vitraux pour cette chapelle à prix coûtant. Finalement l‘association pour le patrimoine est venue me solliciter et a devancé ma proposition.

Les vitraux de la chapelle de Collonges

Vous restaurez ou créez des vitraux pour des édifices religieux. Vous êtes croyante ?

Croyante et en recherche. La religion est un peu comme les parents. Au début, ça nous donne tout, ce qu’on doit faire, ce qu’on ne doit pas faire, ça nous aide à nous tenir debout. Mais à un moment il faut aller plus loin si on veut grandir.

Il y a une forme de cohérence dans toute votre façon de vivre.

Ce sont les hommes (et pas les femmes) qui ont construit la religion pour Dieu, et pas Dieu lui-même. D’où de nombreux paradoxes, des contradictions, des écarts entre la théorie et la pratique. Il faut s’en libérer comme on se libère des parents en demeurant liés à eux.

C’est un peu l’image de votre travail. Vos vitraux terminés, ils vivent et changent en fonction de la lumière. Indépendamment de vous.

Ils vivent leur vie. Le choix de ce métier n’est sans doute pas un hasard. Mes parents m’ont donné le prénom de Claire.

Vous êtes toujours dans la recherche de cohérence entre votre métier, votre prénom, votre personnalité. Il vous faut trouver votre chemin, comme vous le faites en travaillant. Le vitrail se situe entre le figuratif et la stylisation. Il y a comme un détour obligatoire pour créer l’image.

On revient toujours aux contraintes de la technique. Il faut s’adapter à ce qu’accepte le verre. Le cerne noir autour participe à cette stylisation du réel.

Vous ne rendez pas le réel, vous l’interprétez.

C’est, je crois, ce qu’on fait toujours dans la vie. On croit être dans le réel mais on n’en capte qu’une petite partie.

Les vitraux sont peut-être la représentation de ces petites parties que la lumière nous permet de capter. La philosophie de Claire, elle, pourrait en ce moment être illustrée par un vitrail exposé dans son atelier. Des motifs celtes qui peuvent être interprétés comme une représentation de l’infini constitué d’un entrelacs d’angles, de droites et de courbes. Comme une métaphore de la pensée qui jamais ne s’arrêterait.