Une révolution dans la pensée

Une révolution dans la pensée

15 octobre 2023 Non Par Paul Rassat

Les éditions Allia publient un nouveau livre de Jean-François Billeter, Une révolution dans la pensée. L’auteur y reprend en grande partie le cheminement de sa pensée offerte au fil de ses précédents ouvrages. Synthétisée, elle ne perd rien en profondeur et en pertinence et devient plus accessible à tous les lecteurs.

Penser par soi-même

« J’ai passé la première année de ma vie…à essayer les idées des autres. Je me disais que je finirais par trouver celles qui me conviendraient. Puis, un jour, las de chercher, j’ai décidé de m’en tenir à ce que je pouvais observer par moi-même et de m’intéresser aux seuls problèmes que me posait ma propre expérience, même si elle me paraissait réduite…J’ai accumulé des observations, elles se sont multipliées, puis un renversement s’est produit. Entre certains faits que je remarquais, des rapports sont apparus, des motifs se sont formés. Je me suis aperçu que je tenais le début d’une pensée qui m’était propre. J’ai d’abord cru qu’elle se situait à la marge du monde des idées, puis je me suis rendu compte qu’elle me mettait en position de dialoguer avec d’autres. Je disposais même d’une sorte de pierre de touche pour juger la pensée des autres et mieux déterminer en retour ma propre vision des choses.

Comprendre

C’est ainsi que s’est produite une révolution dans ma pensée. Elle répondait à la principale de mes passions, je crois, celle de comprendre, nourrie depuis mon enfance par la crainte de ne pas comprendre. »

Partir de soi pour résister au capitalisme destructeur

Jean-François Billeter se réfère à Pascal écrivant «  l’homme est à lui-même le plus prodigieux objet de la nature. »

C’est pour cette raison qu’il nous faut partir de l’étude de nous-même. À l’opposé, notre société capitaliste nous impose « une façon de concevoir et de percevoir la réalité, enfin une façon d’agir…Le capitalisme, je le définirais comme l’assujettissement de la vie sociale à la rentabilisation sans fin du capital au profit de ceux qui le détiennent…Ce mécanisme et l’action qu’il dicte ont un effet double : la concentration croissante du capital et la dissolution concomitante de tout ce qu’il met sous sa loi : la nature, l’activité humaine, le lien social, la vie politique, le sujet, la pensée, le langage…

Ce mécanisme décompose les activités humaines pour les recomposer à son gré et les mettre au service d’une concentration toujours plus grande du capital… »

C’est à ce stade de la concentration et de la décomposition qu’interviennent populisme et fascisme identitaires. Le retour «  aux peuples » ou au chef.

Le temps, nécessaire à la pensée

Dans les sociétés qui se revendiquent encore de la démocratie, les outils que seraient normalement l’information, l’informatique, nous transforment en outils en nous divisant, nous partageant en « communautés » partageant les mêmes « valeurs » indiscutables et indiscutées car évidentes. Cette mosaïque de non pensée crée frictions et violence entre les pièces d’un puzzle anarchique.

La rapidité des réactions superficielles, le matraquage des informations ne laissant aucune place à la pensée qui nécessite du temps, tout ceci, pour Jean-François Billeter, tue notre liberté, car pensée et liberté sont indissociables.

L’importance de la langue

« Le langage est l’instrument de la pensée. Quand la pensée cesse, il dépérit. On le voit tous les jours s’appauvrir et se désarticuler, en français particulièrement, à cause de la complexité de cette belle langue. Pourquoi la cultiver, en effet, quand un petit nombre de mots et de phrases simples suffit à communiquer ? Beaucoup de ces mots, de ces tournures sont de l’américain repris tel quel. On ne traduit plus parce que traduire exige que l’on prenne le temps de penser… »

Billeter souligne que le langage structure notre vision de la réalité et notre relation au monde. Sa maîtrise pourrait permettre de contester l’organisation capitaliste imposée sous prétexte de protéger les citoyens. Les propose de Macron déclarant la guerre au Covid étaient de ce calibre. Dans les années 80, Hassan II, roi du Maroc, fit un discours pour rappeler à l’ordre les enseignants français exerçant dans son pays : la langue française devait rester un simple outil de communication et non devenir le support d’une réflexion.   . « La démocratie, dirons-nous, c’est ce qui reste d’une république quand on éteint les Lumières. » affirme Régis Debray.

Les éléments de langage ont remplacé la langue. La démocratie fonctionnant sur des chiffres a remplacé la République. Le « faire société », ou le « vivre ensemble » sont des cautères sur un capitalisme de bois dans une main de fer. La bienveillance et le care constituent des paravents qui cachent la violence extrême du système qui se nourrit de sa propre décomposition. L’enfumage et la tromperie médiatique (les fake news ?) deviennent plus crédibles que les informations vraies. Les théories du complot donnent un semblant de cohérence à ce qui apparaît comme un bordel indescriptible, organisé en sous main par ceux auquel il profite.

Être vrai ?

Revenons à la sagesse prônée par Billeter. Repartons de l’humain pour définir ce ne nous sommes, nos besoins, au lieu de soumettre les gens à des besoins factices. Redevenons « vrais » au lieu de nous contenter de « partager des émotions ». L’émotion, ce désormais moteur absolu d’un capitalisme capable de faire prendre des vessies pour des lanternes à tout un chacun.

— Et alors, il se brûle » aurait dit Pierre Dac.