« Vestiges des Cimes » Château d’Annecy
27 juin 2022Le réchauffement climatique des dernières décennies est particulièrement visible en milieu extrême. Dans les Alpes, la fonte des glaces et des neiges d’altitude met au jour des vestiges archéologiques jusque-là préservés dans leur écrin de glace.
L’exposition s’ouvre sur une présentation des glaciers alpins et de l’impact des variations climatiques depuis le milieu du XIXe siècle, à travers une sélection de représentations (tableaux, gravures, photos) de différentes époques.
Une sélection d’objets archéologiques révèle 8000 ans d’histoire alpine, allant de la Préhistoire (VIe millénaire avant notre ère) à l’ère industrielle (XIXe siècle) : arcs et flèches, outils, équipement de voyage, chaussures et vêtements. Découverts par hasard ou lors de recherches dans les Alpes suisses, françaises et autrichiennes, ils montrent à la fois l’empreinte humaine laissée par l’exploitation des ressources montagnardes, et les traces plus fugaces des gens de passage dans ces zones à l’écart de la civilisation.
De la variété même dans l’archéologie
L’exposition est composée d’objets très variés comme des statuettes, une momie de chamois, une reproduction d’Ötzi, des chaussures, des vêtements féminins pouvant paraître très contemporains…On retrouve cette diversité dans la réalisation même de l’exposition. La scénographie incorpore des peintures « classiques », des films, des films d’animation réalisés par Caribara, la diffusion d’œuvres sonores dues à Pali Meursault et Thomas Tilly. Radio Glaces a plongé ses capteurs sonores au cœur des glaciers. Talpa a pu rencontrer Jürgen Nefzger dont Vestiges des cimes présente deux travaux photographiques.
Jürgen Nefzger
— Mon travail s’appuie sur les recherches que je mène dans le domaine de l’environnement à travers le paysage. Je m’intéresse particulièrement à un paysage marqué, façonné par les activités industrielles, par l’empreinte laissée par notre société. Paysage qui renvoie directement à notre capitalocène et aux dystopies de nos sociétés actuelles. Ce travail spécifique fait suite à une longue série sur les centrales nucléaires en Europe. Les deux images exposées ici, au château d’Annecy datent de 2006. Le recul me permet de comprendre ce qui m’a fait passer des centrales nucléaires aux glaciers. Ce sont des choses qui nous dépassent.
Créerions-nous des monstres ?
La commissaire d’exposition, Laurie Tremblay Cormier, rappelle qu’on voyait au Moyen Âge les glaciers comme des monstres qui pouvaient avaler des villages entiers. D’ailleurs, on retrouve cette dimension dans le Frankenstein de Mary Shelley. Le créateur ne rencontre pas sa créature n’importe où mais sur les glaciers où s’installe une sorte de course poursuite entre eux. Le glacier nous dépasse par sa grandeur, par le temps. Il nous effraie aujourd’hui d’une autre façon. Il suffit de voir les magnifiques photos que renferment les collections du château d’Annecy. On voit sur l’une de mes photos un glacier qui a une belle épaisseur, une forte présence. Mais ils fondent depuis longtemps. Même si l’on freine le réchauffement climatique, ils vont continuer à fondre. C’est inquiétant écologiquement à cause de la montée des eaux qui nous menace, mais aussi parce qu’ils accompagnent notre vie sur Terre.
« Le temps et la chambre »
Les deux photos exposées ici, je les ai réalisées à la chambre. Je me mets un peu dans la configuration d’un photographe du 19° siècle avec son trépied, sa chambre, son voile, ses plaques. Le nombre de prises de vues est assez limité. J’aime le silence, l’attention qui s’installent que je partage avec vous. Je choisis des lumières qui transmettent mes émotions,. Là on est dans le glacier d’Aletsch, dans le Valais suisse. Le soleil commence à éclairer le glacier pour donner un moment magique. L’image est très rouge parce que les terres sont ferreuses. L’ensemble donne une sorte d’épiphanie. En face c’est plus menaçant. Nous sommes en bas de la langue de l’Argentière. Au niveau de ce mélange de boue, de terre que le glacier charrie devant lui. Loin de l’image pittoresque que l’on se fait d’un glacier comme il apparaît sur les magnifiques peintures de cette exposition.
S’accorder au temps, à la nature
Votre façon de travailler est intéressante. Vous vous placez vous-même dans le temps. Vos photos nous restituent du temps.
Pendant des poses plus longues, effectivement, on saisit le moment de l’exposition. Pour une photographie nocturne, j’ai eu à réaliser une pose de quatre heures. Il faut se poser soi-même.
Un accord se crée.
Une forme de douceur.
Se concentrer sur l’essentiel pour en dire davantage
Pourquoi êtes-vous devenu photographe ?
J’ai fait beaucoup de livres, donc des séries d’images qui illustrent une volonté de narration, d’écriture. Je montre mon inquiétude causée par l’évolution de notre monde.
Vous parvenez à établir une narration ici, au château, avec deux photos seulement.
C’est le choix de Laurie. J’ai découvert la scénographie en voyant l’exposition déjà installée. Dans un livre, en revanche, je développe une mise en page, un choix d’écriture.
Une photographie est un moment figé qui déborde de cet instant et du cadre.
Il faut dépasser, il faut être dans le hors champ. Sinon ça n’a pas beaucoup d’intérêt.
J’apprécie votre référence aux monstres et à Frankenstein. Notre technologie fait de la nature un monstre.
La cuisine de Frankenstein avait pour visée de devenir maître de la création, de la soumettre à la volonté de l’Homme. De créer son semblable en adhérant à des utopies technologiques.
À suivre…
La conversation se poursuit à propos de l’énergie nucléaire. Talpa aura plaisir à suivre le travail de Jürgen. La toile qui débute l’article est de J. Guédy, 1839. » Vue de Chamonix », © Dept 74