Vide. Nous en manquons

Vide. Nous en manquons

27 février 2022 Non Par Paul Rassat

Vide et plein François Cheng

« …l’homme est un être non seulement de chair et de sang mais aussi de souffles et d’esprits ; en outre, il possède le Vide. »

« Avec moins on trouve, avec trop on se perd. »

Photo © Christophe Rassat. https://www.instagram.com/okyo._/?hl=fr

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Faire le vide

Le mot « vide » vient du latin vanus qui donne s’évanouir et vanité. Le vaniteux est véritablement vide. Comme la grenouille de La Fontaine, il veut se faire bœuf et parfois ( trop rarement ?) finit par éclater. La mode linguistique fait qu’aujourd’hui on est volontiers « dévasté », c’est-à-dire désert. Vide. Et comme le travail de beaucoup est vide de sens, on attend impatiemment les vacances, qui sont par définition un moment vide. On évacue alors notre trop plein de vide. C’est la fameuse vidange des vacances qui permet de reprendre la route du travail. Faire le vide, par tous les moyens permet de résister à l’injonction de faire le plein, de s’accaparer, de s’approprier, de faire sien, de stocker. On stocke du PQ, du savoir, de l’expérience car la nature aurait horreur du vide.

L’indispensable vide

Sans vide, pas de vibrations. Ni son, ni lumière, ni désir de se rapprocher. Sans le vide, ce serait l’indistinction totale. Vide autour et à l’intérieur de nous. Les expressions « ras le bol », « plein le dos » traduisent un état de saturation insupportable. Parfois le vide prend la forme de l’absence, bien que cette expression soit paradoxale. La Venus de Milo doit sa renommée à son absence de bras. Que donnerait L’Urinoir de Duchamp s’il n’était pas vide et séparé de son usage ?

Le vide, le moins, l’absence

Des millions de personnes vinrent admirer l’emplacement vide qu’occupait la Joconde avant son vol en 1911.

« L’histoire de la disparition de La Joconde nous a montré ce qui arrive lorsque l’écart entre l’œuvre d’art et la place vide qu’elle occupe est rendu manifeste. Mais il y a encore assez d’espace vide, même sans que l’art ne disparaisse – c’est l’espace sacré, unique que l’œuvre d’art occupe, l’espace qui nous fait demander : « Est-ce de l’art ? » Le problème de cet espace, et sa puissance, c’est qu’on ne peut le voir. L’art peut nous y renvoyer, mais il reste invisible. Il est à la fois ce que l’art nous invite à voir et ce que l’art nous empêche de voir. » Ce sont les dernières lignes de Ce que l’art nous empêche de voir, écrit par Darian Leader.

La saturation destructrice

Quiconque peut voir à quel point de déferlement d’informations noie la pertinence de celles-ci et permet toutes les informations, même contradictoires. Toute hiérarchisation disparaît. Tout se vaut, noyé dans les théories du complot, les manipulations et les défèque news. Le vide , lui,permet de s’interroger, de chercher du sens, de se forger une opinion. Le trop plein nous transforme en égout. Déjà cité par Talpa, Roger-Pol Droit écrit « Le tube, c’est vous. » À l’inverse, le vide allège. Il peut devenir cet instant pendant lequel on quitte ses certitudes, ses appuis au sol, pour faire un pas et progresser dans la compréhension plus que dans l’affirmation.

Viduité et traçabilité

Le délai de viduité imposé autrefois aux femmes veuves ou divorcées avant un nouveau mariage évitait toute confusion quant à une paternité. En matière d’informations et d’idées, il faudrait imposer un délai de viduité. Une idée ne pourrait être énoncée avant un délai de réflexion évitant de faire sienne une idée entendue l’instant précédent. On disait qu’il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche…Viduité et traçabilité pour mener à une pensée de qualité sur les étals des bouchers médiatiques !