Voiture de merde ! Code de la déroute
22 mai 2021Les joies de l’AX de plus de dix-huit ans
Bon, c’est vrai, ma voiture est une AX Citroën âgée de trente ans ; et ça se voit. Elle est cependant très agréable à conduire, nerveuse car très légère, maniable, un peu du style auto tamponneuse. Elle accélère dès qu’on appuie sur la pédale et décélère dès qu’on relâche la pression sur la même pédale. Et puis, pas le moindre truc électronique, ouverture manuelle des portes et des fenêtres. Un retour dans le temps qui rajeunit le conducteur se revoyant au volant de sa 4L sur les pistes du Sénégal ou du Maroc. L’exotisme pour par cher. D’autant plus appréciable dans un environnement naturel, humain, social et économique voué à la raclette, à la tartiflette, aux voitures de gens aisés dont certaines arborent fièrement un « In tartiflette we trust ». Car Dieu, c’est bien connu, est tartiflette, qui déclare « Laissez venir à moi les petits lardons, je vous les cuisinerai aux petits oignons. »(Prononcez lardoooons en étirant le son « on » car Dieu parle en alexandrins, hein.)
Du sexe des automobiles
Or donc, je pénétrais , au volant de ma voiture dans mon parking préféré d’un centre ville transformé, depuis l’adoption d’un plan de circulation destiné à dissuader les conducteurs de s’aventurer dans le-dit centre ville, en une sorte de parcours intestinal dans un magasin Ikea pendant lequel tu ne peux plus qu’avancer, sans échappatoire, sans raccourci , sans passerelle vers une sortie où t’attendent de pied ferme des caisses incontournables Toujours au volant de ma petite AX, confiant en cette soirée qui allait m’offrir au théâtre voisin un spectacle de danse dont j’attendais beaucoup, je commençais à contourner par la droite le centre d’un mini rond-point, respectant le code de circulation laissant la priorité aux gens déjà entrés sur le carrefour, lorsque je dus freiner brutalement pour ne pas emboutir une grosse 4X4 (Doit-on dire une ou un 4X4 ? Les véhicules ont-ils un sexe ?) pénétrant pourtant après moi sur le rond-point.
Code de la route et de savoir vivre
Un gros truc noir, haut sur pattes, conduit par un chauffeur dont le regard méprisant venu de si haut avait pour but de me faire sentir tout petit, non mais. Le gros truc noir pila dès qu’il fut passé devant ma voiture, m’interdisant toute progression. Un type plutôt baraqué, athlétique en descendit pour me donner un cours de conduite automobile et citoyenne. Leçon que je contestai d’abord poliment, puis de manière plus énergique à mesure que le ton de mon interlocuteur montait, lui montrant les panneaux, lui rappelant le code de la route… Rien n’y fit. Non seulement il avait tort, mais il voulait avoir raison, et que je le reconnusse. Je tentai l’humour, lui déclarant que j’étais un gaucher contrarié (Voilà un truc classe, gaucher contrarié ! Ça ne se fait plus de contrarier les gauchers, sauf à déformer le code de la route).Un gaucher contrarié qui avait confondu la droite et la gauche.
Cet irrépressible besoin de montrer qu’on existe
Permettons-nous ici une incidente : les gens qui brûlent la priorité sur la route pourraient passer pour des personnes pressées ; or elles s’arrêtent fréquemment pour vous reprocher de ne pas les laisser passer. Bizarre, non ? Il faut en conclure que le temps n’y est pour rien et que ces personnes ont un grand besoin d’exister, de reconnaissance aux yeux des autres.
Quand on tutoie la connerie…
Je voyais le moment où la raison et l’humour demeurant inefficaces, l’affrontement physique devenait inévitable. Moment que choisit l’aventurier pour regagner sa/son 4X4, me laissant tellement surpris, habité d’une telle pression que, involontairement, je me sentis forcé de conclure cet épisode ridicule d’un retentissant « Connard », manière pour moi de répondre au tutoiement qu’il avait adopté depuis le début ou presque de notre sketch et à l’absurdité de celui-ci.
Rebelote !
Voilà l’énergumène de nouveau devant moi, me poussant et crachant à plusieurs reprises « Tu vas remonter dans ta voiture de merde ! »
Incertitude sexuelle
J’avoue que je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui expliquer que ma voiture ne méritait pas une telle appellation. Je n’ai pas réalisé sur le champ, non plus, que si je l’avais traité de connard, c’était vraisemblablement à cause de l’incertitude sexuelle qui accompagne dans mon esprit le ou la 4X4. Connard dérive effectivement de con, qui vient lui-même du latin cunus, désignant de manière très grossière le sexe féminin. Est-il possible de qualifier de connard, littéralement « gros sexe féminin » un individu de sexe masculin lui-même au volant d’un véhicule de sexe indéterminé ? Question qui ne cesse de me miner.
Mais il est des situations dans lesquelles s’interroger sur le sexe des anges ne résout rien. J’exerçai sur mon contradicteur une pression au moins égale à celle qu’il maintenait sur moi, ce qui le décida à ficher le camp.
Il gagna rapidement le 2° sous-sol du parking en empruntant gaillardement un sens interdit. Je fis de même. Ce petit sens interdit est ma seule dérogation à l’ordre des choses.