Culture de l’excuse
10 mars 2024Voici quelques passages tirés du livre de Bernard Lahire Pour la sociologie, Et pour en finir avec une prétendue « culture de l’excuse ».( La Découverte 2016). Apparemment ce livre n’a pas été suffisant. Nos « responsables » dénoncent toujours l’assistanat et Gabriel Attal rappelait ces jours-ci : « Les Français savent que la grève est un droit, mais ils savent aussi que travailler est un devoir ». On notera au passage que notre premier ministre parle à notre place*.
Le regard de la sociologie
« La sociologie rappelle que l’individu n’est pas une entité close sur elle-même, qui porterait en elle tous les principes et toutes les raisons de son comportement . Par là, elle vient contrarier toutes les visions enchantées de l’Homme libre, autodéterminé et responsable. Elle met aussi en lumière la réalité des dissymétries, des inégalités, des rapports de domination et d’exploitation, de l’exercice du pouvoir et des processus de stigmatisation. Ce faisant, elle agace forcément tous ceux qui, détenteurs de privilèges ou exerçant un pouvoir quelle qu’en soit la nature, voudraient pouvoir profiter des avantages de leur position dans l’ignorance générale. Elle provoque donc la colère de ceux qui ont intérêt à faire passer des vessies pour des lanternes : des rapports de forces et des inégalités historiques pour des états de fait naturels, et des situations de domination pour des réalités librement consenties. »
L’hypocrisie à l’œuvre
Le livre de Bernard Lahire présente de nombreux exemples de déclarations, de faits. Celui-ci est particulièrement significatif.
« Jacques Wels écrit dans Le Monde [ 22 janvier 2015] une tribune au titre sans ambiguïté : « Cessons d’incriminer la société et laissons à l’individu sa part de responsabilité ». S’en prenant à un article du Monde publié le 15 janvier 2015 par le sociologue Didier Fassin , qu’il situe dans la droite ligne des réflexions de Pierre Bourdieu, il soutient que l’ « excuse sociologique » contribue à « déposséder [ l’individu ] de tout espoir de réussite » et à « faire des individus sans destin individuel, emprisonnés dans un flux collectif sur lequel ils n’ont aucune marge de manœuvre ». Selon lui, « n’envisager les faits que sous la loupe des déterminants sociaux » est une véritable « humiliation publique » infligée aux individus… »
On choisit de devenir délinquant
Autre exemple. « Julien Dray, député socialiste, à l’Assemblée Nationale, le16 juillet 2003 : « À l’instar de Jean-Pierre Raffarin, nous pensons qu’un délinquant est un délinquant.[…]. Oui, il existe un terreau propice à la délinquance, mais cela ne justifie en rien l’acte délictueux. On ne choisit pas le lieu de sa naissance, mais on choisit sa vie — et l’on choisit de devenir délinquant. La société, dès lors, ne peut choisir d’autre voie que la répression. » Bernard Lahire rappelle que la sociologie s’attache à comprendre toutes les causes ; son approche est scientifique. Impossible donc de se passer d’elle pour « regarder la réalité en face » et juger correctement.
« À quoi sert de comprendre ? »
« …en définitive à résoudre les problèmes autrement que par la mise à l’écart ( incarcération, éloignement ou enfermement psychiatrique) ou la destruction de l’autre ( peine de mort) . Prendre de la distance à l’égard du monde est ce qui permet de prendre en compte l’ensemble d’un problème, alors que tout le monde a les yeux rivés sur les actes délinquants ou criminels et la « personnalité » des auteurs de ces actes. Seules cette prise de distance et cette désindividualisation du problème permettent d’envisager des solutions collectives et durables. » Ce à quoi s’employait Robert Badinter à qui tous rendent hommage.
* Argument de généralité ou d’évidence
Il convient de lire ou de relire le petit livre de Bernard Maris Petits principes de langue de bois économique. « la première ruse rhétorique consiste donc à utiliser l’évidence pour contester la réalité. Des phrases comme « les experts sont formels », « les Français pensent que… », « les Français savent bien que… »emportent la conviction de l’auditeur grâce à une affirmation ex abrupto… »