Pauvreté, misère et mérite
21 décembre 2021Cadavres d’enfant, le mérite et la mort
En 2015 la photo d’un enfant fit le tour des médias. Elle montrait son cadavre sur une plage de Turquie. Un tout jeune migrant noyé. Aussitôt éclata une polémique. Il s’agissait d’une mise en scène. La position du corps n’était pas naturelle. Il ne portait pas de gilet de sauvetage ! Effectivement, pourquoi ne pas accuser de suicide les migrants dépourvus de gilets de sauvetage ? Polémique ou non, ce jeune Aylan Kurdi était bien mort noyé. Quand le doigt montre la lune, l’hypocrite regarde le doigt.
[ La photo vient de Roots Magazine]
Prendre sa part de la misère du monde
Il y a quelques jours, un enfant d’un an a traversé seul la Méditerranée à bord d’une embarcation de migrants. À l’aune du mérite, le premier ne devait pas demeurer en vie. Le deuxième, si. Michel Rocard déclarait un jour « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre fidèlement sa part. » Suivant la couleur politique de ceux qui citent ce propos, on le reprend dans son intégralité ou bien on s’arrête à la virgule. » Il est d’autant plus pertinent que les pays les plus riches prennent leur part de misère qu’ils s’enrichissent en provoquant la misère des autres. Il en va de même pour les individus. La notion de mérite telle qu’elle est conçue a pour rôle de donner bonne conscience aux plus chanceux.
Pauvreté et misère
Dans À mots découverts Alain Rey consacrait un article à la misère. Un autre est intitulé Pauvreté et misère. « La misère est tellement fondée sur le malheur, le mauvais sort, le mal, que le mot misérable a pu devenir péjoratif. Un misérable, naguère, pouvait être un criminel, un vrai salaud. À propos, il est commode pour les riches, de confondre le mal, le crime, avec l’indigence ; on se souvient de la célèbre et terrible apostrophe « Salauds de pauvres ! »
Pauvre, justement, vient du latin pauper, et ce mot, on a pu l’analyser comme « qui produit peu »…
La misère…ajoute au constat objectif un contenu moral ; un destin mauvais.
Aujourd’hui, il s’agit de dénoncer cette idée de destin. Ce n’est pas la fatalité, c’est bien l’injustice sociale, le mal de l’inégalité, celui de l’égoïsme et de la loi du profit, qui entretiennent la misère… »
Migrants et chair à poissons
« Rien ne se perd, tout se transforme. » Célèbre formule concernant la matière. Il en est de même avec les migrants. Dans Étymologies, Pour survivre au chaos Andrea Marcolongo rappelle que migrer, à l’origine, signifie « échanger, muter, transformer ». Il est même question de « don » Et puis ça se gâte. L’article se poursuit avec une citation du livre de Davide Enia La loi de la mer :
« Tu sais quel poisson est revenu ? Le loup de mer. […] Et tu sais pourquoi les loups repeuplent la mer ? Tu sais ce qu’ils mangent ? Tu m’as compris. »
Tels sont les mots prononcés par un pêcheur de Lampedusa dans le livre de Davide Enia. Et nous étions en train de naviguer non loin de Lampedusa, là où les poissons se remplissent aujourd’hui le ventre de cadavres, ceux des migrants qui n’ont pas été secourus. »