Miss Marple à l’Hôtel Bertram
9 janvier 2022Échange avec Dominique Ziegler, scénariste de cette adaptation BD de Miss Marple à l’Hôtel Bertram.
Vous aviez déjà adapté « Un cadavre dans la bibliothèque ». Quel intérêt présente pour vous le personnage de Miss Marple ?
Miss Marple est moins connue qu’Hercule Poirot. Elle est une vieille femme discrète, qui résout des enquêtes de manière presque périphérique. Contrairement à Hercule Poirot qui est le protagoniste principal de ses aventures, Miss Marple est souvent reléguée au second, voire au troisième plan de ses propres histoires ! Il s’agit là d’une convention narrative assez inédite, et très intéressante à traiter. Miss Marple se fond dans le décor et observe de loin la police patauger. Au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue, elle commence à monter en puissance et trouve la solution qui avait échappé à la police. À un niveau politique, cela signifie que les personnes invisibilisées en ont davantage sous la semelle que les tenants de l’ordre établi.
Quelle part de liberté vous octroyez-vous dans une adaptation ?
Je me suis permis de situer les aventures de Miss Marple au milieu des années 60, alors que les romans et les nouvelles qui la mettent en scène ont été écrits entre 1930 et 1976. C’est un choix d’interprétation libre, que m’a laissé la Agatha Christie Foundation qui veille scrupuleusement sur l’œuvre. Pour le reste, je respecte bien sûr les grands lignes de l’intrigue, mais je fais le choix de mettre l’accent sur tel ou tel aspect de l’enquête, voire de sacrifier quelques personnages du roman sur l’autel de l’adaptation, car on ne peut pas transposer purement et simplement 250 pages de romans en une bd de 62 pages. Il faut opérer des coupes assez radicales. Je me permets aussi des petits clins d’œil. Ainsi on a mis Blake et Mortimer comme clients d’un hôtel, au détour de deux cases, dans le premier album, et dans celui-ci, on a imaginé que Jimi Hendrix descendait dans le même hôtel que Miss Marple à Londres et qu’il était accueilli par les Beatles.
Vous êtes romancier, vous écrivez pour le théâtre où vous servez, entre autres, Rousseau et Molière, pour la BD… Quels liens rapprochent ces types d’écriture ?
Il y a beaucoup de similitudes entre l’écriture de théâtre et la rédaction d’un scénario de bande dessinée. Il s’agit avant toute chose de transmettre des informations de manière synthétique et fluide. La confrontation entre les personnages détermine la couleur de la scène, son dynamisme, sa densité. Il s’agit de recettes à peu près similaires, à part que dans la BD, il faut tenir compte de l’ellipse entre chaque case, alors qu’un dialogue théâtral s’effectue dans la continuité. Dans le théâtre on doit aussi travailler à l’économie, en imaginant d’avance le nombre de comédien.ne.s et en ayant toujours présente à l’esprit la limite des moyens techniques. En revanche pour la BD, il n’y a aucune limitation de nombre de personnages ou de changements de décor, ce qui est assez jouissif. La série de Miss Marple bénéficie du talent d’un très grand dessinateur, Olivier Dauger, qui peut tout réaliser, ce qui est un atout majeur. À noter que le choix des couleurs est aussi déterminant pour donner une identité forte à cet univers. Nous avons la chance de collaborer avec une grande coloriste professionnelle, Myriam Lavialle. Elle a à son actif un nombre impressionnant de collaborations dans le monde de la bd.
Si cela n’a pas déjà été réalisé, Agatha Christie ferait-elle un bon personnage de BD ?
À part sa disparition de quelques jours dans les années 20, qu’elle a mise elle-même en scène, il n’y a rien de transcendant du point de vue de l’action dans la vie d’Agatha Christie. Par contre, elle est une des premières artistes du vingtième siècle à avoir montré qu’une femme pouvait mener une carrière indépendante avec un succès majeur. En ce sens sa carrière est déterminante sur le plan de l’avancée de la cause des femmes. Et puis son œuvre est impressionnante par sa quantité et sa qualité.