Alain Damasio « Entrer dans la couleur »

Alain Damasio « Entrer dans la couleur »

8 janvier 2022 Non Par Paul Rassat

Alain Damasio « caracole sur les cimes de l’imaginaire…Il a notamment reçu le Grand Prix de l’imaginaire à trois reprises. » C’est ce nous dit la 4° de couverture de son roman Les furtifs. Roman de plus de 900 pages en édition de poche. C’est qu’Alain aime le jeu, le décalage, l’exubérance. 900 pages pour des furtifs ! Un minimum de réflexion nous permet de comprendre que tout le monde dans lequel nous vivons est composé d’imaginaire. Que celui-ci est aussi présent en nous que le concret mais qu’il est plus simple et facile de gérer ce dernier à l’échelon d’une société. Et à force de nous limiter au concret basique, on a fini par nous priver de récit collectif, remplacé par des objectifs et du flux tendu. Plus de place pour l’imaginaire ! Davantage de place pour un Alain Damasio ! (Photo©Telerama)

Postface en période de masques sur la face

Alain Damasio a écrit, entre autres, la postface de Carbone & Silicium, album de Mathieu Bablet que Talpa a rencontré. Auteur qui a le bon goût d’utiliser l’esperluette, mot qui sonne si bien l’espoir. Une postface en cette époque marquée par nos (farces) faces masquées de carnaval triste, quelle drôle d’initiative ! D’autant plus que, comme les bons alcools, elle titre. Elle titre même «  Empreinte Carbone. » Après avoir emprunté du carbone à la Terre sans jamais le lui avoir rendu, Homo Sapiens lave plus blanc, croit-il, en calculant son empreints carbone.

Que dit cette postface ne relevant pas de Janus ?

«  Il arrive que des œuvres obligent à inventer le mot qui pourra les décrire. Et en restituer cette empreinte organique qu’elles laissent dans nos fibres, comme le rouge d’un sang pris dans une trame de chanvre.

Ce mot, ce serait la sostalgie. La nostalgie d’une solitude qui ne serait pas totale, d’un lien entre les humains qui ne serait pas coupé, d’un tissage collectif qui pourrait être autre chose qu’un cluster d’atomes interconnectés par le réseau. Un sentiment situé quelque part entre la solastalgie pré-traumatique d’un monde familier qu’on ne reconnaît plus et la nostalgie d’un retour au pays natal qui n’a jamais existé. »

Alain Damasio a plus d’un tour dans son sac

Et parmi ceux-ci, un tour de chant ! L’invention d’une langue ne pouvait que déboucher sur le chant et un concert de rock-fiction qui doit se poser le 13 janvier 2022 à l’Auditorium de Seynod. Entrer dans la couleur en est le titre. Le Brise Glace d’Annecy a accueilli récemment Rodolphe Burger de qui écriture et chanson sont en fusion. Hugo Roux nous disait l’importance d’inventer une langue pour créer une nouvelle société, une nouvelle culture. Renouer avec une poésie fondamentale, sociale est impératif ! Pour « Entrer dans la couleur » ?

Rencontre avec Morgane qui accueillera Alain Damasio au Bistro des Tilleuls le 12 janvier pour lui poser quelques questions.

Le renouveau de la science fiction française

Morgane, tu es une grande lectrice de Damasio. Pour quelle raison ?

J’ai découvert son œuvre avec La Horde du Contrevent, il y a 7/8 ans. L’auteur m’a réconciliée avec la science fiction française qui manque d’engagement, de réalisme sur les sujets scientifiques abordés. La science fiction se doit d’être une critique de la société et de ce vers quoi elle se dirige. Damasio brasse tous les axes scientifique, politique, sociologique, philosophique. La Horde du Contrevent est l’histoire d’une joyeuse équipe qui part à la quête de la source du vent pour lutter contre ses effets négatifs. Elle forme une communauté. On retrouve cette veine dans Les Furtifs.

De l’écriture à la scène

Ce roman  est à l’origine du concert qu’en a tiré Alain Damasio. Comment peut-on passer de 900 pages à un concert ?

Il reprend des textes, des extraits de son roman. J’ai réalisé qu’il avait déjà réalisé une bande originale pour La Horde du Contrevent. Il y intervient pour un ou deux morceaux, avec d’autres artistes sur d’autres passages. Le travail qu’il propose à partir des Furtifs est beaucoup plus abouti. Il crée véritablement l’esthétisme de cette ambiance musicale. La relation avec le livre, qui lui aussi monopolise le sens de l’ouïe, est étroite.

L’écriture d’Alain Damasio est très inventive. Il crée une langue, ce qui est aussi une caractéristique de la poésie. Puisque la poésie est initialement destinée à être chantée, la démarche de Damasio est naturelle.

C’est le moyen de faire prendre toute son ampleur et son ardeur à la poésie. La création d’Alain Damasio est à la rencontre du chant, de la récitation. Il dit, il déclame, accompagné par le guitariste Yan Péchin ( qui a travaillé  avec Alain Bashung, Higelin, Brigitte Fontaine et beaucoup d’autres).

Néo logismes, société…

Créer une langue permet de susciter et d’accompagner l’émergence d’une nouvelle société.

Ce travail sur la langue est présent dans le travail d’Alain Damasio avant Les Furtifs. Pour ce roman, il y a plusieurs narrateurs qu’un certains nombre de signes graphiques permettent de reconnaître. Chacun a sa propre langue, personnalisée…

Peut-être que l’auteur est lui-même un peu schizophrène. (rires)

En tout cas, il se met dans la peau, dans la langue de chacun de ses personnages, ce qui sert le récit. Ça nécessite une lecture un peu concentrée. J’aime bien ce type de lecture qui nous interroge. Le récit se trouve enrichi du fait que le même épisode est raconté par plusieurs personnages. Il faut y ajouter les néologismes, l’inventivité de la langue, le fait que l’expression de chacun des narrateurs semble se battre contre un code.

À suivre

La conversation avec Morgane se poursuit. Il est question de théâtre, de danse, de livres, de projets culturels. Une belle énergie !