Twist à Bamako de Robert Guédiguian en DVD & BRD
12 avril 2022Les ramifications d’un récit
Twist à Bamako fait revivre les années qui suivent l’indépendance du Mali en 1962. Le film (sortie en DVD &BRD le 17 mai 2022) remonte en réalité bien au-delà. Il montre les conséquences de la colonisation. Très vite, on comprend aussi que la narration va nous emmener jusqu’à la situation actuelle. (Photo © AGAT_ Films)
Hautes tensions
Les personnages sont traversés par toutes les tensions, les contradictions qui façonnent leurs vies. Mariage forcé / amour. Tradition, religion / mode occidentale. Socialisme / intérêts privés. Peuple / intellectuels. Idéal / réalité. Ville / campagne. Exigence révolutionnaire / liberté individuelle. Langue française / bambara. Césaire / Foccart. « Salut les copains » est jugé contre révolutionnaire. Ces oppositions et décalages se rencontrent dans les deux niveaux de compréhension du mot « émancipation ». L’un consiste à se débarrasser d’un devoir scolaire en pensant que l’émancipation c’est « être majeur et on ne me fera plus chier. » L’autre affirme que c’est « s’affranchir d’une servitude, d’une domination, d’une aliénation. » Enjeux économiques (la dot), de domination, les femmes sont omniprésentes et leur statut est complexe.
Quelques répliques pour donner le ton
« Les Français, l’indépendance ça leur va tant que leurs intérêts sont préservés. » « C’est pas parce qu’on est tous égaux qu’on est tous pareils. » « La lutte pour le nouveau Mali ne dispense pas des devoirs conjugaux. »
Portée universelle
L’action se situe au Mali mais le tournage a eu lieu au Sénégal. Il déborde des frontières géographiques, politiques. Il montre tous les espoirs individuels et collectifs, les contraintes, les oppositions habituelles qui nourrissent et tarissent toute époque et tout pays. Une histoire circulait en Tunisie dans les années 70. Bourghiba et le premier ministre Ahmed Ben Salah roulent avec leurs conseillers dans le sud du pays. Un dromadaire barre la route. Impossible de le déloger. Ben Salah s’approche de l’animal, lui chuchote quelque chose à l’oreille. Le dromadaire s’enfuit et disparaît en un instant. Le premier ministre socialiste l’aurait menacé de collectivisation. Retour à la réalité : emprisonné Ben Salah , s’évada et s’exila.
Le punctum
Robert Guédiguian a eu l’ingéniosité de glisser dans son film des arrêts sur image à la manière des photographies de Malick Sidibé. Ils assurent une sorte de focalisation et de distanciation à la fois. Un regard de l’Histoire sur le quotidien de la vie. La Fondation Cartier a exposé Malick Sidibé en 2018, un an après sa disparition. On le présentait comme « …le photographe de la Swinging Bamako…Il était de toutes les fêtes de la jeunesse. Malick Sidibé a immortalisé il y a cinquante ans l’effervescence et la joie de vivre de la Bamako des débuts de l’indépendance. » La question se pose-t-elle encore « Que seraient devenus les pays qui n’auraient pas été colonisés ? » Quel prix ont coûté les routes et les écoles construites par les colonisateurs de qui certains élus français voulaient faire reconnaître l’action bienfaisante ?