Mandeville lu par Dany-Robert Dufour
26 décembre 2022Après La fable des abeilles, Dany-Robert Dufour analyse Recherches sur l’origine de la vertu morale publié en 1714 par Bernard de Mandeville. Cet article est directement inspiré du livre de Dany-Robert Dufour, baise ton prochain Une histoire souterraine du capitalisme, que le lecteur aura intérêt à découvrir par lui-même. ( Le dessin est de Franz Schimpl. Il montre que l’Homme a le bras long…)
De l’importance de la flatterie
Nos sociétés ont quitté un fonctionnement soumis à une transcendance (Dieu, la monarchie…) pour une immanence « moderne ». « Les hommes n’ont plus eu à se reprocher leurs vices. » Au contraire « Ce sont les vices privés qui font le bien public » selon Mandeville. Vivre pleinement ses vices entraînerait la richesse transformée en vertu. Vivre en société nécessite cependant d’obéir aux lois. Comme il est impossible de payer tout le monde correctement, il est nécessaire d’utiliser une monnaie qui ne coûte rien : la parole, la flatterie. Et c’est ainsi que les vertus morales ne valent qu’autant qu’elles sont liées à la flatterie.
Les hommes ne sont pas là où ils pensent
« Il n’est donc rien de plus inauthentique que ces vertus puisqu’elles reposent sur le plaisir donné aux individus de passer aux yeux des autres pour ce qu’ils ne sont pas, au point qu’ils vont croire eux-mêmes à leurs propres vertus…Les hommes ne sont pas là où ils pensent. »
Faisons confiance aux pervers
Selon Mandeville toujours, il y aurait trois classes d’individus. Les premiers ne croient pas en ce système et recherchent des plaisirs personnels : voyous, voleurs…La deuxième répond à la flatterie et pense s’élever en « prenant autrui en considération. Et en acquérant ainsi une bonne image d’elle-même. Une image flatteuse. La troisième est composée de pervers qui font semblant d’obéir à la loi pour « profiter du prestige des vertueux et afin d’en tirer tous les bénéfices possibles. » Ils peuvent ainsi diriger les affaires et gouverner.
L’art de gouverner
Dany-Robert Dufour résume alors l’art de gouverner : « flatter les uns et stigmatiser les autres. …Ce qui l’amène (Mandeville) à construire une puissante et étonnante théorie du politique : cette instance se constitue à partir du moment où les individus renoncent à leurs appétences en échange de récompenses imaginaires satisfaisant leur amour-propre. Il en résulte un vaste théâtre de semblants, un théâtre de marionnettes où la loi s’affiche…Mais où, en fait, quelques-uns, les pires d’entre les hommes, tirent les ficelles. »
Allons voir ailleurs si j’y suis
Au « Je pense donc je suis » de Descartes, Lacan substitue un « Je pense où je ne suis pas », lieu de l’inconscient. Inconscient que notre système politique capitaliste utilise à merveille. Allons voir ailleurs si j’y suis ! En faisant du tourisme, en me décentrant pour acheter, consommer, me divertir…Parmi les « pervers » le lecteur reconnaîtra aisément quelques dirigeants de classe internationale. Assistés, chômeurs font bien sûr partie des stigmatisés. Les flattés sont heureux d’avoir d’eux-mêmes et de partager entre eux cette image positive qui les légitime. Les « pervers » font construire des prisons pour y enfermer ceux qui, contrairement à eux, ne savent pas jouer au billard à trois bandes et cherchent à satisfaire trop directement leur recherche de plaisir.
Des vertus aux valeurs
C’est qu’entre les vertus morales et le pouvoir ceux qui l’exercent ont tissé une trame de valeurs, dont la fondamentale valeur travail. Entre le sacré et le profane tels que les analyse Bernard Lahire se jouent toutes les gradations de la perversité qui cimente nos sociétés. L’art y joue son rôle, qui vend de la merde d’artiste dans une société se nourrissant de ses propres déchets. Le recyclage écologique n’est que le pâle reflet actuel d’un autre recyclage bien plus profond et fécond.
En conclusion
Une fois de plus, revenons à la fabuleuse phrase de Vladimir Poutine « C’est celui qui le dit qui l’est. » La profondeur philosophique de cette affirmation digne d’un enfant est étonnante. Accuser l’autre, c’est s’accuser soi-même ! Les hommes ne sont pas là où ils pensent. » Dany-Robert Dufour cite Greta Tunberg à la tribune de la COP 24. « Notre biosphère est sacrifiée pour que les riches des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. Ce sont les souffrances du plus grand nombre qui paient pour le luxe du plus petit nombre. Et si les solutions au sein du système sont impossibles à trouver, nous devrions peut-être changer le système lui-même. » Riches qui pensent aller voir ailleurs sur une autre planète au cas où celle-ci ferait défaut…