Abbaye de Cluny, Mehdi Moutashar expose au farinier
10 juillet 2022Voyage dans l’espace, le temps et la culture, c’est ce que propose Mehdi Moutashar à l’Abbaye de Cluny. Son travail sur la géométrie est poésie puisqu’il dit une infinité de choses avec la plus grande économie de moyens. L’imaginaire du visiteur peut y fonctionner à merveille.
Conversation avec Mehdi Moutashar
La presse a annoncé votre exposition en ces termes « Mehdi Moutashar investit le Farinier de l’Abbaye de Cluny ». Le verbe investir est plutôt agressif, du langage guerrier ou financier. Rassurez-moi, vous êtes plutôt pacifiste ?
Absolument. Ces titres font sans doute référence au projet initial. En plus de l’exposition que vous avez vue, une installation était prévue dans le soubassement du Farinier. 300 mètres carrés d’installation qui reprenaient la trame de voûte des arcades du lieu. Pour diverses raisons cela n’a pas été possible et ce que le visiteur voit peut paraître un peu esseulé.
Le vide et le plein
Ce qui m’a frappé, justement, c’est la notion de vide qui n’est pas l’absence puisqu’il crée une relation entre les éléments que vous exposez et le cadre qui les reçoit. Ceci laisse une place importante à l’imaginaire.
Pour moi, et c’est important, le vide n’existe pas. Sans moi, la salle est pleine, chargée de choses plus ou moins anciennes. Son histoire est beaucoup plus importante que moi et que mon travail. Je suis juste un visiteur qui passe et se doit d’être délicat et respectueux de la majesté de l’Histoire, de la fantastique réalité architecturale.
Lire l’espace
Vous instaurez une conversation entre l’Occident et l’Orient, la spiritualité chrétienne et le monde arabo musulman.
Je ne peux pas dire que je mets ceci en place intentionnellement. C’est cependant une réalité qui existe dans mon travail. Celui-ci est tendu par une lecture de l’espace qui nous incite à la fois à l’émerveillement, à la modestie, à la conscience de l’espace dans lequel nous baignons. L’espace dont nous faisons partie et la vie en général.
Prendre la mesure de l’espace
Le visiteur a l’impression qu’il fait lui-même partie de votre exposition. Encore plus avec cette œuvre posée au sol et constituée en partie d’un pan relevé en diagonale. En se déplaçant et en changent d’angle, on compose à chaque pas une œuvre différente.
Absolument. On prétend que l’art géométrique est mal perçu par le public. Ce serait difficile… On oublie que le mot géométrie signifie à l’origine « mesurer l’espace ». Ceci implique une forme de respect pour l’espace dans lequel on se trouve. On le mesure, on l’identifie, on essaye de le concrétiser par un carrelage de salle de bains, par le plan d’une maison. La carte géographique est une mesure de l’espace. Dieu sait que les cartes géographiques sont magnifiques !
« Regardez ! »
Dans tout ceci il y a la même incitation « Regardez sous vos pieds, il y a quelque chose d’extraordinaire, qui vous reçoit, vous accueille. » On n’en a pas conscience mais c’est une incitation à l’imaginaire. « Regardez où vous mettez les pieds ».
Mesurer l’espace permet de nous mesurer nous –mêmes.
De voir à quel point nous sommes petits !
Un peu d’humour avec la photo de droite : les accidents du temps font écho à l’art!
Entre Orient et Occident
Andrea Marcolongo écrit ceci dans Étymologies pour survivre au chaos. « Notre ascension, orient, et notre descente occident, sont contenues dans l’espace compris entre ces deux étymologies…La distance humaine, étymologique, entre orient et occident est ainsi la connaissance de nous-mêmes. » [Orient vient du latin oriri, se lever, se tenir droit. Occident vient de cadere via occidere, précipiter, descendre. Comme le mot occasion qui mène à la bonne fortune et à l’aventure].
C’est exactement ça. Nous sommes les témoins d’une élévation lumineuse qui, l’espace d’un moment, nous fait découvrir où nous sommes, où nous nous orientons. Ce verbe est important dans la chrétienté puisque toutes les églises regardent vers l’orient, vers le soleil. S’orienter est toujours perçu positivement comme une intention d’intelligibilité.
Un jeu de correspondances
Vous emportez avec vous vos racines, vos origines irakiennes qui renvoient à l’un des berceaux de la culture. Vous en faites une forme d’abstraction concrète et vivante à travers votre art.
En tout cas, même si cette exposition est très modeste, quand vous entrez, sur votre droite, apparaît une pièce en métal noir. Ses angles sont exactement ceux de la charpente en bois du XIII° siècle. Cette correspondance par-delà sept siècles m’a fait plaisir. C’est une continuité dont j’espère qu’elle trouvera encore et encore son chemin.
Deux photos © Daniel Pype et le projet envisagé pour le soubassement du farinier.
Lire et relier, en « bonne intelligence »
Puisque nous parlons de correspondances…Il y a cinq ans environs on trouvé à l’Abbaye un trésor constitué en partie de pièces marocaines datant du XII° siècle et d’un « petit carré d’or ».
Vous savez, il y a différentes temporalités. Les livres d’Averroès ont subi l’autodafé des intégristes de son époque sous prétexte d’hérésie. Le philosophe de Cordoue a chargé l’un de ses élèves originaire de Carcassonne de cacher ses livres en Occident. Les échanges de bonnes intentions, les échanges intelligents existent depuis très longtemps. Les intégrismes non plus ne datent pas d’aujourd’hui.
La culture, malgré tout, continue de faire son chemin
La politique forme des accidents à la surface et la culture occupe des courants différents et plus profonds.
C’est d’ailleurs Louis Massignon qui a découvert en Irak, dans une abbaye de Mossoul, le manuscrit d’Al-Hallaj. Il l’a traduit en français pour le retransmettre aux Arabes au début du XX° siècle. La culture continue de faire son chemin malgré les accidents de surface, comme vous dites.
Vous vous inscrivez à votre manière dans la continuité de cette conversation.
J’espère.
Lumière, écho, correspondances
Voici un extrait du texte résumant la démarche de Mehdi Moutashar pour le projet d’installation qui n’a pas pu se concrétiser.
« L’alternance des pleins et des vides à l’intérieur d’un matériau compact et de faible épaisseur,
la transparence qui laisse affleurer le pavement, contribuent à générer une sorte de relief, jamais
le même en fonction des angles de vue qui accompagnent la déambulation du visiteur, un relief
qui a la fois creuse le sol et en détache l’oeuvre… Quelque chose en somme comme un écho au
miroitement de la lumière sous les arcs mouvants des voûtes. »