Annecy ! quelle scie* !

Annecy ! quelle scie* !

29 décembre 2024 0 Par Paul Rassat

L’abondance d’énergie a accru le rythme de création des villes et leur taille. Il s’agissait de concentrer les lieux de production et d’échange. Initialement les villes s’étaient construites autour des lieux d’échanges, comme les marchés ou comme l’église pour les échanges spirituels. C’est ce qu’explique Jean-Marc Jancovici dans la BD Le monde sans fin. Nous verrons ce qu’il en est d’Annecy.

  • Une scie est une chanson qui revient sans cesse et irrite.

La ville jardin

Dans Relions-nous, livre collectif, Emanuele Coccia écrit : « …la ville naît au moment où un groupe d’êtres humains se lie dans une relation de fidélité avec une série de plantes : c’est avec le premier jardin et avec l’invention de l’agriculture que l’humanité abandonne la posture de chasseur-cueilleur et devient sédentaire. De ce point de vue, nous pouvons dire que le jardin est l’origine de la ville et non son interruption ou sa négation….Il n’y a de ville que là où les êtres humains et les plantes s’associent les uns aux autres…On pourrait dire que c’est le jardin qui fait la ville et pas l’inverse. »

Jean-Marc Jancovici précise : «  Contrairement à l’idée qu’on s’en fait, plus il y a de gens en ville, plus la quantité d’énergie utilisée par personne augmente et plus les émissions de CO2 sont élevées. » Et de citer Los Angeles : si tout le monde possède une voiture, il est nécessaire d’étendre la ville.

Dessin tiré d' »Un monde sans fin »

Les contraintes d’Annecy

Impossible d’étendre la ville d’Annecy. Et comme la ville concentre les lieux d’échange, donc de travail, la nécessité de déplacements croît à mesure que croissent la production et la vente de produits de toute sortes : loisir, tourisme, alimentation… Comme il semble impossible de maîtriser la croissance de la ville et celle des produits qu’elle vend, pourquoi ne pas tenter de limiter les nuisances des déplacements en automobile et délocaliser les terrains de sport, de détente, de loisir ? Incapables de revoir le fonctionnement des villes, les élus transfèrent à leur périphérie les problèmes que celles-ci créent. Dans le même temps Annecy devient avec le consentement passif ou actif des élus, voire avec leur participation volontaire, un centre touristique international souvent débordé par l’absence de vision politique.

Éléments de langage et de pensée réduits à des bribes

Nos élus décrètent que la ville sera verte. Ils décident d’ « apaiser » la circulation. C’est dans ce but que la voie verte qui parcourt le tour du lac est élargie. Nos élus souhaitent « apaiser » le million et demi de passages actuellement relevé  chaque année sur la voie verte, et permettre aux touristes de profiter du lac.

Ne peut-on voir dans cette entreprise une « stratégie absurde » telle que les relève Maya Beauvallet dans son livre ? En «  apaisant » de cette façon, ne risque-t-on pas un appel d’air comme on le craignait avec le percement d’un tunnel sous le Semnoz ? Et puis, ce verbe «  apaiser » relève de l’élément de langage qui sert de rustine un peu partout. Élément de langage ou pensée a minima quand des élus déclarent, à propos des travaux entrepris sur la voie verte et des désagréments qu’ils entraînent : «  On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. » Y a-t-il une vision, une analyse, une pensée derrière ce type de formule toute faite ?

Importer des modèles au lieu de les inventer ?

La ville d’Annecy mérite mieux qu’un plan de circulation transplanté d’une autre cité sur Annecy. Mieux aussi qu’une halle gourmande gérée sur le modèle d’autres halles gourmandes par une entreprise installée dans une autre région. Il n’est pas question de revendiquer ici  un repli sur soi mais, à l’inverse, de partir des intelligences locales afin de faire rayonner intelligemment une ville en accord avec ses spécificités géographiques, humaines, culturelles, historiques. Peut-être est-ce cela, la véritable écologie. La pensée en circuits courts plutôt que le recours à des formules toutes faites que l’on retrouve partout. En même temps que le Pâquier exposait une ambulance ukrainienne, une autre ambulance ukrainienne était exposée à Grenoble. Faisons plutôt travailler nos propres neurones.

Faire moins bien en croyant faire mieux

Revenons au livre de Maya Beauvallet. À vouloir faire mieux en s’y prenant mal, on fait souvent moins bien. Pour l’instant, la délocalisation et le débordement des problèmes d’Annecy sur son pourtour créent des embouteillages, de la pollution sous toutes les formes, dont de la pollution sonore. La piste devenue voie verte devient un lieu de défoulement sans règles de conduite jusque très tard dans la nuit. Beaucoup d’usagers la parcourent à vélo et musique à fond ! Il y a presque trente ans, Canal + montrait une altercation entre cyclistes et pratiquants de rollers sur la piste. C’était pourtant une époque presque idyllique, paisible au regard du trafic actuel.

Retour à de bonnes intentions justifiées

En 1977 le docteur Servettaz écrivait dans l’eau, la vie d’un lac alpin, chronique de la sauvegarde du lac d’Annecy : « …nous croyons, contrairement à ce qui s’est fait jusqu’ici et quitte à agacer ses dirigeants, qu’il est souhaitable de voir chaque lac se spécialiser, compte tenu de son étendue, de ses ports, du niveau de ses pollutions…ou de sa pureté, de ses fonctions prioritaires et reconnaître à celui d’Annecy des vocations nées de ses qualités retrouvées. » L’auteur insiste sur la petite superficie du lac, son encaissement répercutant les nuisances sonores. Il bannit les activités touristiques ou sportives susceptibles de perturber l’équilibre retrouvé. «  Je crois très raisonnable d’imposer ces comportements restrictifs pour nos belles eux retrouvées….nous le ( le lac) voulons grande zone de calme, de sécurité pour tous les usagers. Le lac pur, le lac sûr, le lac silencieux, le lac poissonneux. »

Un modèle ?

Où en sommes-nous ? L’auteur utilise un mot intéressant. Il parle d’usagers. Le mot n’avait sans doute pas le même sens il y a cinquante ans. Désormais, quarante à cinquante pour cent de la population d’Annecy se renouvelle tous les dix ans. La qualité de vie actuelle, le confinement récent créent un apport de population venu d’autres régions. Un nombre important de Savoyards travaille en Suisse. Annecy devient de plus en plus une ville non pas de citoyens mais d’usagers qui attendent un niveau de loisir et de culture événementielle répondant à leurs exigences. Une véritable vision devient absolument indispensable à la place du recours à des modèles importés d’autres villes, à la place de discours faits d’éléments de langage mis bout à bout et entre lesquels apparaît un vide inquiétant.

Le vide culturel de la vitrinisation et le trop-plein de monde

Ce vide est masqué par une vitrinisation de la ville telle que l’envisageait Salvador Garcia lorsqu’il portait la candidature d’Annecy pour l’obtention du statut de « Capitale française de la culture ». Annecy Paysages était la première étape de cette signalétique que l’on retrouve dans le quartier du Lac. Une redondance auto-satisfaite et creuse. Et par les trous de ce vide, de cette absence de vision, a pu dégouliner l’architecture conçue par Portzamparc sur l’emplacement de l’ancien hôpital. Et dégouline sur le territoire proche le besoin d’activités que la saturation de la ville interdit en elle-même. On a construit, rentabilisé, goudronné, bétonné, allons retrouver la nature à l’extérieur et maîtrisons le mouvement inverse ! Si le vide appelle le vide, jusqu’où n’irons-nous pas ?

Le principe de débordement

À propos de la ville, certains parlent du principe de débordement. Si l’on investit plus par habitant dans les villes que dans les campagnes, les bienfaits engendrés par ces investissements bénéficieraient aussi à la campagne. Est-ce vrai pour Annecy ? Que serait la ville sans la nature qui l’environne, sans les activités qu’elle offre ? Il est vrai que la ville donne du travail aux habitants des environs, mais à qui profite véritablement ce fonctionnement ? Peut-on réduire, enfin, les échanges et la vie entre la ville et son territoire à un fonctionnement «  apaisé » qui concerne des usagers ?

Vision et utopie

Si le docteur Servettaz fut un visionnaire (un peu oublié aujourd’hui), il y eut aussi André Dupont, né en 1911 et qui grandit à Meythet. On le connut davantage sous le pseudo d’Aguigui Mouna, ici ou là, de Paris à Cannes ou Avignon, ou bien à Annecy, au Puits Saint-Jean. Il y commentait l’actualité avec sa gouaille d’anar. Le livre que lui a consacré Anne Gallois comporte un chapitre intitulé La vélorution est en marche. Quelques dessins de Cabu illustrent le texte.  De quoi faire oublier l’absence de vision actuelle ?