Arborescences, Benoît Peeters
12 avril 2023Rencontre avec Benoît Peeters chez lui. Il était question de parler de pensée en arborescence, d’oxymore et d’autodidaxie. Voici le tout début de cette conversation passionnante, foisonnante qui prend des détours, explore des recoins de pensée, de vie, de créativité. ( Photo © Christophe Rassat)
Tirer parti des désirs et des accidents
Sur votre table, le Cours de poétique de Paul Valéry trône et rappelle votre propre cours de poétique au Collège de France.
Poétique de la bande dessinée.
Comment assemblez-vous la bande dessinée, la cuisine, la philosophie ? Comment tout ceci se mêle dans un bain de neurones et de synapses ?
Tirer parti des désirs et des accidents, je pense que c’est ça qui a été au cœur de ma démarche. J’ai découvert la grande cuisine par accident. J’étais plutôt du côté de la littérature, du travail intellectuel. J’ai travaillé sur Les bijoux de la Castafiore, sous la direction de Roland Barthes à la fin de mes études. Trouvant que ce n’était pas un sujet assez sérieux, que je n’étais pas allé vers les concours prestigieux, mes parents m’avaient plus ou moins coupé les vivres. J’ai failli pratiquer alors professionnellement la cuisine que je pratiquais en amateur passionné. J’ai rencontré la bande dessinée à travers ma passion d’adolescent pour Hergé, mais aussi par ma rencontre avec François Schuiten. C’était un camarade d’études avec lequel, vers douze, treize ans, j’ai fait un journal d’école. Il dessinait, j’écrivais. Nous avions pratiqué la peinture sous la direction de son père.
Arborescences
Nous avons, chacun de nous, de multiples arborescences qui se présentent dans nos vies. Je me demande souvent si on aurait fait les mêmes choix fondamentaux si on avait pris une autre branche de l’arborescence. À travers les hasards, les accidents, les rencontres, une sorte de logique se met en place. Les choses qui m’ont passionné ont continué à me passionner même si elles n’étaient pas toujours au premier plan professionnel. Il y aurait une sorte de parcours majeur et des digressions, des accidents, des chemins de traverse.
Qui enrichissent les choses.
Et qui restent là. Bien sûr, on peut tous imaginer que dans une autre vie, avec d’autres rencontres nos vies auraient bifurqué, comme dans le film de Kieslowski Le hasard. Trois vies possibles, parallèles, à partir d’un train attrapé ou manqué. J’aurais tendance à croire malgré tout à une sorte de logique profonde à partir du moment où on ne renonce pas à certains des éléments qui nous passionnent, même si on ne leur donne pas la pleine expression qu’ils auraient pu avoir dans une autre vie.