Art et culture
17 février 2024Rencontre avec Bertrand Salanon qui a pris la direction d’ Annecy et de Bonlieu Scène Nationale. Comme un coup de frais sur les murs de l’institution. Le nouveau directeur porte un regard attentif à l’ensemble du maillage artistique et culturel annécien, à l’art et à la culture. Il semble que ce soit aussi le cas avec la nouvelle directrice de l’ESAAA. Un nouvel élan ?
Bertrand Salanon, vous dirigez une Scène Nationale qui fait partie d’un réseau, avec un cahier des charges. Vous arrivez dans une ville qui a un passé culturel, quelle liberté de manœuvre est possible en fonction de ces paramètres ?
Il demeure une plasticité, une part d’interprétation même dans ce cadre, plasticité qui tient au cadre, aux personnalités, aux moyens. Les Scènes Nationales peuvent être très différentes les unes des autres. Il est demandé aux postulants d’apporter une couleur qui soit liée à l’interprétation des missions et du contexte.
Il y faut votre patte.
En partie, oui. Mon métier d’origine est producteur de spectacles vivants. J’accompagne les artistes pour qu’ils réalisent leurs œuvres. J’ai gardé ce socle de départ dans tout mon parcours, aussi bien dans des endroits où je me suis accompli que dans d’autres plus frustrants pour moi. C’était lié à la capacité ou à l’empêchement de…
Vous êtes très sensible au contexte.
Dans la mesure où le travail des artistes vous emmène, vous déplace. Mais je ne suis pas capable de penser sans cadre personnel qui rejoint celui du territoire, celui du personnel, en créant une sorte d’interface. Nommé directeur, on a l’année qui s’ouvre pour élaborer et valider avec la ville, le département, la région, l’État, les différents financeurs, une convention pluriannuelle d’objectifs à la fois quantitatifs et qualitatifs.
Mon action, celle de l’institution dont on m’a confié la direction, doivent s’inscrire dans le jeu des politiques publiques et des financements croisés qui les soutiennent. L’intérêt est donc de les accorder et de s’en distancier en partie dans la mesure où elles peuvent formuler des injonctions paradoxales. La part d’interprétation permet de concilier l’ensemble en respectant des priorités.
De tout ceci découle la nécessité d’éditorialiser l’action. La raconter permet de la faire comprendre et aussi d’échapper à cette tendance « attrape-tout ». On affirme un axe, un esprit qui permettent à d’autres, autour de la Scène Nationale, d’exister sur d’autres terrains.
J’ai été pendant 6 / 7 ans directeur du Théâtre Universitaire de Nantes, une petite structure, au côté de la Scène Nationale de Nantes. Je connais donc cette position du second dans les politiques publiques et culturelles. Les trois structures de théâtre de Nantes nous obligeaient à nous distinguer en tissant des liens entre nous, à travailler ensemble à certains endroits de rencontre. Même si je n’étais pas dans la position la plus confortable, j’y ai trouvé beaucoup de plaisir.
Je n’ai donc aucun problème à ce que les autres s’affirment, au contraire.
Ce que certains voient comme de la compétition peut être un enrichissement mutuel.
Il permet de mieux creuser son axe. L’écueil éventuel des Scènes Nationales est l’hyper affirmation de la pluridisciplinarité, avec la nécessité d’être sur tous les terrains, ce qui peut conduire à une dilution, voire à un côté supermarché.
Les Scènes nationales sont fondées sur la question de la fréquentation de l’œuvre, qui est devenu les œuvres . On pense qu’il est possible de faire circuler le public dans différents genres, domaines… Ça peut marcher, pas toujours. D’où la nécessité, j’y reviens, de donner un éclairage sur les choix que l’on fait. Ceci permet aussi de penser sa propre alternative.
On parle beaucoup de culture populaire. Quelle en serait votre définition ?
Je préfère parler d’art. Les théâtres sont avant tout des lieux d’art, des arts de la scène. La culture est ce qu’ils produisent, ce que l’art a construit d’expérience sensible en chacun(e) d’entre nous et qui s’est déposé pour construire une expérience, peut-être un savoir. On pourrait éventuellement parler d’un capital. L’art est ce que produit l’artiste comme geste adressé aux gens. L’accompagnement des artistes est donc primordial, non pas qu’ils soient au-dessus du public mais parce qu’ils sont au commencement, à la source.
Vous devez faire au mieux pour que ce geste existe et soit reçu .
Absolument. J’emploie le mot culture avec une certaine prudence parce qu’il est victime de sa polysémie qui peut engendrer des confusions.
Il est question de culture populaire, on évoque ici Jean Vilar, puis la définition que Roland Barthes donne de la culture, juste dans l’esprit, un peu vieillie dans les termes. C’est que langue et culture évoluen : des textes de haute exigence, des mises en scène innovantes et un public nombreux…L’élitaire pour tous, reformule Bertrand Salanon.
Pour moi, la fréquentation, oui, la convivialité aussi, mais reste la question « Qu’est-ce qu’on montre ? » Il ne faut pas inverser la fin et les moyens.
Parfois la gestion prend le pas.
Le militantisme des précurseurs a parfois tellement réussi qu’il a pu entraîner des effets discutables. La mise en avant des abonnements pourrait en faire partie. [ Il y a chez Bertrand Salanon une véritable réflexion et non pas une critique] On entend parler de nombre de représentations, d’abonnés…
L’exposition Van Gogh au Musée d’Orsay vient de se terminer. Elle est considérée comme un succès car elle a attiré 793556 visiteurs sur 108 jours, soit 7181 visiteurs par jour en moyenne.
Je peux parler d’un taux de transformation du disponible artistique s’il le faut ; je n’ai pas de problème avec ça. Mais , je le répète, il ne faut pas confondre les moyens et la fin. C’est pourquoi j’essaye en ce moment d’apprendre Bonlieu, le contexte, afin de mettre en œuvre et en accord avec le réel le projet pour lequel j’ai été choisi. Je pense avoir toujours trouvé des réponses en accord avec le contexte sans jamais avoir à me trahir.