Bruno Verjus, le néologisme à la bouche
8 avril 2023Bruno Verjus nous reçoit dans son restaurant, Table. Il y tient presque table ouverte puisque la salle et la cuisine sont ouvertes l’une sur l’autre et dialoguent en permanence sous la conduite du chef…d’orchestre. Les lignes qui suivent sont tirées d’un texte qui figurera, pour illustrer l’art de nourrir, dans un livre à venir. Celui-ci réunit la céramique, le théâtre, la poésie, l’équilibre, l’entreprise, la spiritualité, la nourriture à travers des personnes autodidactes, oxymores vivants, pensée en arborescence. ( Photo de Bruno Verjus © Christophe Rassat)
Bruno Verjus ou l’art du magicien.
— Le magicien est toujours accompagné d’une belle femme. Le public la regarde pendant qu’il fait ses tours et cache ainsi sa technique. C’est un peu la même chose dans la cuisine. Il y faut une diversion du palais et du cerveau pour quitter les préjugés et être presque neuf pour découvrir d’autres sensations. Et rentrer dans la narration.
L’art du geste et de la geste
Je demandais récemment à Stéphane Mahé comment il faut prendre une photo. Pour lui, il faut être en relation directe avec le sujet. C’est cette relation sans intermédiaire, sans parasite qui prime. C’est ce que l’on éprouve avec vos assiettes. Une relation avec la nature qui fait presque oublier la complexité de la composition.
Ça doit être hyper fluide, sans rupture. Ici chacun sait ce qu’il doit faire. Comme je ne suis pas un cuisinier de formation, tout est un peu disruptif. Il y a traditionnellement des postes en cuisine. Chacun y travaille sans voir forcément la finalité de ce qu’il fait ; un peu comme un travail à la chaîne pour monter une voiture sublime, ou pas. Ici, au contraire, chacun est capable de tout faire, à tout moment car nous partageons le projet, la narration. L’équipe n’est pas composée d’exécutants mais d’interprètes de la narration. Je ne veux pas les utiliser mais les amener à s’épanouir pour faire grandir en eux de la qualité, de la force et de l’intérêt. À l’opposé des répétitions, des automatismes. Je veux au contraire leur cerveau, leur amour, leurs émotions, la pureté du geste qui a été réfléchi dans l’intention.
Être ce que l’on fait et faire ce que l’on est
D’où vient cette façon de faire ?
Je ne sais pas. C’est depuis toujours la façon dont je conçois la vie.
Jean François Revel écrivait « Les bons professeurs forment de bons autodidactes.
J’ai toujours gardé la pensée de l’amateur. J’aime cette phrase « Un professionnel, c’est un amateur qui ne fait que ça. » On ne perd pas le fil, comme ça. Il n’y a pas cette dessication qui peut survenir chez le professionnel. Il faut toujours être dans ce rapport à l’appétit des choses, à l’envie, au désir, au partage. Encore plus quand on nourrit. Quand on n’a pas envie d’aimer, il ne faut pas nourrir.