Canard

Tout est bon dans le canard.

On ne vantera jamais assez  ce palmipède. Tout le monde connaît l’expression « Tout est bon dans le cochon ». Itou pour le canard qui rivalise avec le gros plein de lard.
   On n’est jamais gavé de son foie. Il est possible de lui tricoter des aiguillettes. Parfois il monte au filet ou livre des magrets dignes de la meilleure histoire gastronomico-policière. Cet adepte du slow food sait prendre son temps et quand il lisse ses plumes, rien ne presse, si bien qu’il passe fréquemment à l’orange. La cane, elle, nous offre son bec tandis que les palmes, à la saveur si bourgeoisement académique, ornent les revers de veste. Sous presse dans les meilleurs restaurants, il y laisse alors plumes ou défraie la chronique par les siennes.

Le canard digérant

« Le Canard de Vaucanson, également appelé le Canard digérant, digérateur ou défécateur, est un canard automate, créé par Jacques de Vaucanson vers 1734. » C’est ce que dit wikipedia. « Le projet vaucansonien de construire des machines qui, en imitant le vivant, permettent d’en comprendre le mécanisme se fonde sur la théorie de l’animal-machine de Descartes, pour qui le corps est « seulement une machine qui se remue de soi-même », de telle sorte que s’il existait des automates « qui eussent des organes et la figure d’un singe, ou de quelque animal sans raison, nous n’aurions aucun moyen pour reconnaître qu’[ils] ne seraient pas en tout de même nature que les animaux »^.. La caractéristique la plus pertinente du canard de Vaucanson était sa capacité à digérer et à déféquer, à l’égal d’un humain !

De l’automate au robot et à l’IA

Le dix-huitième siècle posait déjà la question des limites, des frontières entre l’homme et la machine, entre le fonctionnement humain et celui de la machine. Nous en sommes aujourd’hui à explorer la porosité entre l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle. Ceci pose en réalité la question de la relation de l’homme avec lui-même.

L’homme-machine

Dans  Monsieur, je ne vous aime point, Roger-Pol Droit suit les relations entre Rousseau et Voltaire. Ce dernier rencontre La Mettrie, de qui voici un rapide portrait.  «  Matérialiste, il ne se contentait pas de nier l’existence d’une âme immortelle et d’affirmer le règne unique du corps, comme l’avaient déjà soutenu, chez les Anciens, Démocrite, Épicure ou Lucrèce. Prolongeant et étendant la conception des « animaux-machines » de Descartes, il avait fini par élaborer une conception de «  l’homme-machine » selon laquelle tout-y compris nos sentiments, nos désirs, nos décisions-n’était que le résultat de l’état de nos organes et des dispositions de nos organismes. » La machine La Mettrie mourut d’une indigestion de pâtés aux truffes. La Mettrie n’avait pas complètement tort dans la mesure où il était un précurseur. Il est à la mode de partager désormais nos émotions, de vibrer à l’unisson…en machines programmées par la culture événementielle.

Le digérateur-défécateur

«  Le rire est le propre de l’Homme » affirmait Rabelais. Digérer et déféquer aussi ! Et c’est ainsi que le canard de Vaucanson nous amène jusqu’ aux réalisations de Wim Delvoye, dont Cloaca ou La machine à caca. Piero Manzoni paracheva le processus artistique avec sa Merde d’artiste présentée ainsi : Merde d’artiste, contenu net gr 30, conservée au naturel, produite et mise en boîte au mois de mai 1961. Le film  The Fisher King, avec Robin Williams rappelle que, parmi les fondements indispensables à une vie réussie figure une saine défécation. Il est plaisant de se rappeler la ruée sur le papier hygiénique en période de confinement ! L’animal-humain devient alors machine qui se torche pour se prouver son existence.

Mon petit canard

Pressé, à l’orange, en foie gras, le canard se fait mot doux pour désigner sa ou son partenaire. Plutôt sa. Il est passé il y a longtemps des mares et des lacs dans les baignoires où il amusait les enfants. D’où l’idée d’en faire un sex toy. Là encore, il s’agit de vibrer et de partager, éventuellement, des émotions grâce à une machine. Le canard participe à ce droit à l’orgasme revendiqué par certaines. Espérons dans le futur proche un droit, opposable, à l’intelligence.