Gabrielle Piquet

Gabrielle Piquet

1 février 2024 Non Par Paul Rassat

Fabrice parle de Gabrielle Piquet à Gaëlle, de BD Fugue Annecy, qui m’en parle…Enchaînement naturel, comme la pensée et l’expression de Gabrielle d’un livre à l’autre.

Aux origines ?

Piquet : « Pieu destiné à être enfoncé dans le sol, et servant notamment à délimiter un alignement, un terrain, à retenir les cordages d’une tente, à attacher un animal »… « planter le piquet «s’arrêter dans un lieu ». On relèvera aussi droit comme un piquet, ou bien mettre au piquet.

Le nom vient du verbe piquer dont on retiendra ce sens, « piquer au vent, aller à l’encontre du vent ».

Quant au prénom, Gabrielle, il n’est pas véritablement épicène, comme Claude ou Dominique, mais sa prononciation est la même, qu’il soit féminin ou masculin.

Piquer au vent

Faut-il croire à une sorte de prédestination liée à notre prénom et à notre patronyme ? Allez savoir ! Mais ce serait presque contraire à ce qui va suivre. Ou alors une prédestination par opposition. Car Gabrielle Piquet semble plutôt «  piquer au vent », aller à la recherche de la plus grande liberté en sortant de toutes les cases établies. C’est au point qu’on peut se demander comment parler de son travail. Le regard que Talpa porte sur celui-ci s’appuye sur la lecture de quatre albums. S’appuyer n’est d’ailleurs pas le meilleur terme. Pour quelqu’un qui n’aime pas réduire un compte-rendu de lecture à un résumé de l’intrigue, je suis servi !

Ouverture et arborescence

L’intrigue se réduit, ou s’élargit, à une sorte de fil en arborescence, une idée en entraînant une autre, une forme en faisant éclore une autre. La sobriété du trait, l’absence presque systématique de couleur sont très largement compensées par une profusion incroyable de liens, d’enchaînements en une ronde permanente. Ceci fait penser aux livres de Jacques-André Bertrand dont on pouvait se demander ce qu’il en restait après lecture. Rien ! Rien d’apparent parce les enchaînements de pensée, de remarques sans narration apparente avaient été totalement ingérés et digérés. Ils sont en nous. Même impression après lecture des albums de Gabrielle Piquet.

À la charnière

Elle procède dans une déambulation de pensées, de l’une à l’autre, incluant l’intérieur et l’extérieur, l’intime et le social, le psy et l’intellectuel, le souci du détail et la vue d’ensemble, toutes facettes réunies. Dire qu’on a lu un livre de Gabrielle Piquet ? Difficile. Le lecteur s’y plonge, y est plongé. Il nage, fait la planche, coule, remonte à la surface. Lorsqu’il croit apercevoir un phare, une plage, le paysage se déplace, se recompose autrement.

Toute une œuvre comme un néologisme

Les mots eux aussi se composent entre eux en une poésie très rythmée. Le néologisme y participe, comme dans ce titre  La nuit du Misothrope. En prenant autant de liberté que Gabrielle Piquet avec la réalité basique, on verra dans misothrope, outre un néologisme, un jeu de mots impliquant trope : «  Figure par laquelle un mot prend une signification autre que son sens propre…un changement ou un détournement de sens…PHILOS. Argument que les sceptiques grecs utilisaient pour démontrer l’impossibilité d’atteindre une vérité certaine et pour conclure en conséquence à la suspension du jugement. »

Exploration

Gabrielle Piquet se plaît à jouer avec tout ce qui étiquette, ferme, contraint. Son œuvre en une « mise en t(h)ropes ». Elle explore, ouvre des thèmes aussi profonds que l’amour, l’amitié, la différence, toutes les différences la sexualité, l’identité, dont celle de l’artiste. Jusqu’à la folie d’Érasme. Elle revisite la morne norme. Nous réduisons-nous à nos qualités, à nos talents que voient les autres ? Comment évoluons-nous ?

Et la tendresse, bordel ?

Si la tendresse est omniprésente, elle n’exclut pas l’humour, voire l’ironie. Ces détours permettent de ne pas juger ses créatures, même si elles reprennent les éléments de langage d’une société fonctionnant à la manière des mouvements de bancs de poissons, ou bien dans les rêts du développement personnel. «  Je suis friand de nouvelles expériences. Sortir de ma zone de confort est très enrichissant. » Ironie poussée jusqu’à l’ermite-nain de jardin ( oxymore !) matérialisant un transfert psychanalytique en une contradiction qu’aurait approuvée Umberto Eco. Il avait lui-même inventé, par exemple, l’urbanistique tzigane. ( À retrouver dans Comment voyager avec un saumon).

Le mouvement

Tout est mouvement, cela a été dit, la pensée, la langue, le dessin. À propos des idées, on s’amusera avec le titre Les idées fixes, que Prévert avait anticipé : «  La meilleure façon de ne pas avancer est de suivre une idée fixe. »

Petit exercice

Regardez de près la composition des pages 7 et 12 de l’album Les idées fixes. Page 7, suivez les regards, de face, de dos et  tournés ailleurs, ajoutez le regard de l’auteure, celui de la lectrice ou du lecteur. Joli jeu de miroirs ! Examinez la structure, l’organisation du dessin : rien n’est conforme aux cases habituelles. Page 12 ? Un tourbillon autour du dessin central, lui-même composé de plusieurs plans et de plusieurs points de vue. Le mouvement est permanent, se fait, se défait, se recrée en de nouvelles formes comme cette vague devenue monstre avalant un navire. Les mots ne sont pas en reste.

Créer et construire

Il semblerait que le travail de Gabrielle Piquet soit une sorte d’autobiographie mentale décalée, entre fiction et réalité, évadée de la vie contrainte en une sorte d’auto psychanalyse dans laquelle chacun peut se retrouver. Dans un univers à connotation linguistique anglo-saxonne. Une sorte de décor de théâtre acculturant ? Gabrielle Piquet nous invite à la représentation de nous-mêmes, sur scène et dans la salle, dans les pages et les tournant. Merci pour l’invitation !