Galerie Garnier Delaporte, à Chavignol et ailleurs

Galerie Garnier Delaporte, à Chavignol et ailleurs

23 novembre 2022 Non Par Paul Rassat

Rencontres à Annecy avec Brigitte et Patrice qui ont créé un lieu d’art au pays du crottin et du Sancerre, la Galerie Garnier Delaporte. Pris par le mouvement, ils passent par Annecy où Talpa les a rencontrés à deux reprises. Cet article est l’un des résultats de ces conversations.

Partir d’une méconnaissance partagée

Patrice — J’étais architecte dans une vie antérieure. Mais c’est toujours la même. Nous nous posions la question de la suite. Comment garder une activité qui compense la perte d’un monde par une autre que nous pouvions partager ? Il s’agissait, d’une certaine façon, de repartir d’une méconnaissance partagée. Bien sûr, j’ai une sensibilité artistique, la peinture m’intéresse, je sais dessiner.

Brigitte — J’ai rencontré Patrice dans une galerie, rue des Beaux Arts, à Paris. Il exposait des pastels sur la Loire. Je suis née au bord de Loire, à  Sancerre. Mon rôle de galeriste a commencé là, puisque j’ai aidé Patrice à nettoyer la galerie à la fin de son exposition. Nous nous étions déjà croisés à Chavignol où il avait des amis. Nous parlions alors voyages parce que j’étais une grande voyageuse. Mes études m’avaient menée à Paris. Je voulais y découvrir plein de choses et parfaire ma formation artistique.

Accompagner le mouvement

Nous avons évoqué le mouvement de la Loire. Il y en a un autre qui consiste à gagner Paris et à découvrir le monde. Plus tard, la galerie constitue un mouvement inverse, faire venir le monde à Chavignol.

Patrice — Après des débuts professionnels à Paris, je m’étais installé à Chavignol où mes grands parents avaient des attaches. La première maison que j’ai dessinée et construite est celle d’André Dubois, le fromager. Après notre rencontre à Paris, où vivait alors Brigitte, je l’ai convaincue que la vraie vie était à Chavignol.

Brigitte — Et ma vie professionnelle m’avait menée à être biologiste-viticultrice. J’ai d’abord été dans l’industrie pharmaceutique. Revenue au bercail, j’ai fait des enfants et je suis redevenue viticultrice dans le domaine familial. J’y ai assuré tout le relationnel.

Partir à l’aventure

Une œuvre d’art est une autre forme de relationnel. Il s’agit toujours de rencontres.

Patrice — Justement, la création de la galerie nous a permis de garder une vie sociale faite de rencontres autour de sujets qui nous intéressent. Comme partout, à Chavignol, il se passe ce que tu y amènes. Nous créions un lieu de rencontres entre amateurs d’art, artistes sans trop savoir où nous allions. C’est une aventure.

Elle est partie de l’idée d’inviter une fois par an des amis, des artistes dans mon grand bureau. Il y a eu ensuite l’acquisition d’un bâtiment sur la place de Chavignol. Nous ne savions pas encore ce que nous allions en faire.

Brigitte — Le crime n’a pas été prémédité, mais l’aventure était déjà là. Nous avons créé la galerie alors que nous avions encore nos activités professionnelles pour ne pas subir de coupure avec la retraite.

Patrice — Nous ne nous faisions pas vraiment d’illusion quant aux succès financiers et autres. Nous nous étions donné cinq ans d’aventure. La galerie existe depuis 2009.

L’art comme thérapie

Que donne un regard rétrospectif ?

Patrice — Le succès de la galerie est une chose, mais il y a ce qu’elle représente pour nous. Elle a eu un effet thérapeutique, en particulier  pour Brigitte tombée gravement malade six mois après son ouverture.

Brigitte — La 2° année de son activité, la galerie a été pour moi une thérapie considérable. Je m’en suis rendu compte plus tard, mais la galerie a été décisive. Nous étions déjà récompensés de nos efforts ! Il nous reste encore à entraîner les locaux dans l’aventure artistique. Mes copines d’école, par exemple.

Patrice — Cette activité maintient nos qualités d’analyse et de mémoire. Elle nous oblige aussi à parler, à expliquer. Brigitte est le service action, moi je suis un contemplatif. La galerie nous permet de mettre nos spécificités au service d’un objectif commun. C’est excellent pour un couple ! Le partage artistique et culturel a montré son importance pendant le confinement.

Le choix des artistes

Comment fonctionne la galerie habituellement ?

Nous organisions trois expositions personnelles par an. Printemps, été, automne. Le grenier, lui, est l’histoire de la galerie et le témoignage. On peut y voir en dépôt tous les artistes de la galerie. C’est l’esprit d’un atelier d’artiste. Il y a des œuvres partout. On feuillette, on regarde. Reste la question du choix des artistes. On ne rentre pas en cinq minutes dans l’univers poétique d’un artiste. On voit au hasard d’un salon, d’une exposition une œuvre, un artiste. Nous le suivons un, deux, trois ans, ou plus.

Une manière d’être

Vous dites « artiste ». Il ne s’agit donc pas que du travail, mais aussi de la personne.

Brigitte — C’est l’ensemble qui nous intéresse. Et la personne doit aimer le Sancerre et le crottin de Chavignol ! On bavarde, on visite l’atelier.

Patrice — C’est une pièce essentielle qui dévoile l’intimité de l’artiste. Il y est nu et ne peut rien cacher. Sont là sa personnalité, sa façon d’organiser, les œuvres anciennes, des affiches d’exposition, des œuvres en cours…Il est chez lui, donc rassuré.

Une galerie à la campagne !

Brigitte — Quand nous leur expliquions où se trouve Chavignol, au début, certains étaient pliés de rire. Chavignol compte cent habitants. Sancerre mille cinq cents. L’œno-tourisme est important dans la région. Certains viennent goûter les nouveaux millésimes issus des vignobles et de la galerie. Essentiellement des gens du nord et des Belges.

Patrice — Nous avons notre réseau d’habitués. Sinon, une galerie impose une terreur absolue à la campagne. Au tout début, il est arrivé que des gens se cachent derrière le meneau de la fenêtre et passent juste la tête pour regarder l’intérieur. Ils se recachaient au moindre mouvement de notre part. D’autres étaient attirés par notre escalier intérieur, entraient sans regarder les œuvres exposées. Pour les Belges, en revanche, entrer dans une galerie est un geste naturel. Les Français ont du mal à assumer leur curiosité parce qu’ils se croient obligés d’acheter. Ils n’entrent pas !

L’art itinérant

 Nous nous rencontrons à Annecy, chez Jean-Pierre Montmasson. Vous y exposez des œuvres montrées habituellement à la galerie.

Cette innovation s’inscrit dans une démarche  hors les murs de la galerie. Nous en étions déjà sortis à l’occasion de salons. À Paris, Lille, Strasbourg. Lille à plusieurs reprises. C’est l’occasion de sortir d’un microcosme, de faire des rencontres.

Brigitte — Nous avons pris conscience que nos artistes tiennent vraiment la route. Nous étions à contre courant…mais dans la bonne direction. C’était l’époque du street art, qui par définition devrait  être exposé dans la rue. Les visiteurs faisaient le tour des cent stands et revenaient vers le nôtre. C’est notre différence qui nous a conquis des fidèles dans cet univers de compétition, d’affichage qu’est un salon. Les gens venaient respirer chez nous après en avoir pris plein les yeux ailleurs !

L’art du tempo

Une relation qui dure est plus épanouissante que les effets saturants du spectaculaire.

C’est sans doute ce que viennent chercher dans notre galerie des Parisiens en demande d’un autre tempo qui leur laisse véritablement le temps de la découverte.

Patrice — Pour monter une exposition, il faut s’y prendre six mois à l’avance, choisir une trentaine d’œuvres. 2020 a changé la donne. Nous ouvrons à la demande. Nous nous adaptons, d’où des opérations ponctuelles chez des amis.

Nouvelle rencontre l’année suivante, 2022, et suite…

Dialogue

Nous recherchons un dialogue entre la sculpture et la peinture. Ce sont nos peintres qui nous ont renvoyés vers la sculpture. Lors d’expositions précédentes avec des sculpteurs, ils ont trouvé que se créait une résonance et que celle-ci était plus riche qu’une exposition uniquement de peintures.

Le mental et l’émotionnel

La sculpture est plus facile d’accès en ce qui concerne l’art contemporain. Il y a de la matière, un volume. On peut toucher, c’est sensuel. La peinture est plus abstraite. La réaction émotionnelle que l’on éprouve avec une œuvre fait essentiellement appel à notre mémoire. Celle-ci, pour s’activer avec la peinture, nécessite une construction mentale, des références. Le processus est beaucoup plus direct avec la sculpture. Notre premier sculpteur a été Jean-Paul Moscovino. Il concrétise le passage du plan au volume. Il est le chaînon manquant, une sorte d’origami. Jean-Paul a été la porte d’entrée pour regarder avec plus d’attention les sculpteurs. Comme j’ai été architecte, ce passage du plan au volume m’interpelle.

Relation à l’œuvre d’art

On arrive plus ou moins à la question de l’œuvre d’art. On habite les réalisations architecturales. Les œuvres d’art sont de moindres dimensions, comme un concentré ? On est à l’intérieur par l’esprit, par la mémoire.

C’est intéressant parce que Jean-Paul Moscovino fait des œuvres monumentales, de trois mètres de haut. On passe dedans et on les perçoit différemment. On les habite. Avec ses réalisations plus petites la relation est plus abstraite. Elle joue avec le plein et le vide.

Ici, c’est un hommage à mai 68 ? On a l’impression que ce sont des pavés. (rires).

On vend bien des morceaux du mur de Berlin ! Cette réalisation de Bernard Thimonnier est un grès composé de deux éléments. Nous l’avons associé à une peinture de Philippe Berthommier qui lui aussi articule les choses. Il a d’ailleurs une double formation, céramique et peinture. L’utilisation de liants, de pigments fait que son travail évoque celui de la céramique vernissée. Il joue sur le mat et le brillant.

Élargir la notion de voisinage

Ces articulations artistiques font fonctionner les articulations de nos neurones, de nos émotions.

Cet artiste ne fait pas partie de ceux de notre galerie, il est un voisin. Notre région compte des céramistes de tous genres, utilitaire, artistique, parce qu’elle recèle de l’argile. Le village de La Borne, tout proche, est un centre de céramique important. Il regroupe des locaux et, à l’occasion d’expositions ou d’événements, des artistes de renommée nationale ou internationale. Puisque nous parlons de conversation, les relations entre notre galerie et les céramistes nous ont semblé évidentes. Le travail de Philippe Berthommier discute aussi avec celui de Michel Saint-Lambert. François Schwoebel est notre plus proche voisin et celui qu’on connaît le moins. C’est un scientifique revenu à la campagne. De manière générale, nos œuvres sont plutôt intimistes.

Peinture, sculpture, céramique, photographie, les Garnier Delaporte tissent un réseau de disciplines, d’amis artistes, d’approches, de regards…Parmi les hôtes de la galerie, citons Jacques Victor André, Renaud Allirand, Michel Graff. Une mention particulière et personnelle pour Mohamed Aksouh et Michel Saint Lambert.