Galerie Sator / ArtGenève

Galerie Sator / ArtGenève

1 février 2025 0 Par Paul Rassat

Rencontre avec Vincent Sator lors d’une heureuse déambulation dans les travées de ArtGenève le 30 janvier 2025. Le stand d’exposition est entièrement consacré au travail de Raphaël Denis. Précisons que la galerie Sator accompagne aussi Kokou-Ferdinand Makouvia qui expose actuellement à Annecy.

Vincent Sator — C’est une correspondance entre un cadre vide acheté par l’artiste aux puces ou ailleurs et une œuvre qui a été spoliée pendant la guerre. Se crée une espèce d’œuvre fantôme liée à l’objet qui est devant nous. On y retrouve l’inscription de l’inventaire nazi MAB 2306 et en retournant l’objet, vous avez l’historique : la collection dont elle est issue, l’artiste, et l’historique de spoliation…

L’art au centre d’enjeux de toutes sortes

Quelle est l’intention de l’artiste ?

Il y en a plusieurs. D’abord s’intéresser à son travail et à l’objet d’art comme enjeu culturel, de pouvoir, de politique, de civilisation. Tout le travail de Raphaël Denis s’intéresse à ceci, et plus encore ce projet spécifique auquel il se consacre depuis dix ans : la spoliation des biens juifs pendant la guerre. Il s’agit de montrer comment l’œuvre d’art est au cœur d’un système de représentation, d’assimilation, avec des résonnances contemporaines. L’une des œuvres de Raphaël Denis est une allusion aux autodafés d’œuvres d’art organisés pendant la seconde guerre mondiale. Lorsque nous avions présenté ce projet, le jour même, nous apprenions la destruction du site de Palmyre par Daech.

Resituer

Comment vous, galeriste, vous situez-vous dans ce mouvement de spoliation, de restitution ?

Comme galeriste, je suis uniquement dans le soutien et l’accompagnement de cet artiste. Il est plus engagé que je ne le suis dans cette approche de l’art, d’autant plus que je ne travaille qu’avec des artistes contemporains dont le travail, par définition, ne souffre pas de spoliation. Cependant j’ai une formation institutionnelle et muséale ; les questions de conservation et de transmission me passionnent. C’est le cœur de la galerie. Raphaël Denis, lui, devient artiste/chercheur. Son travail est très sérieux, très documenté.

Vincent Sator évoque alors ce Modigliani volé, disparu, repéré par Raphaël Denis dans un musée de Hanovre et ainsi rendu aux descendants de son propriétaire disparu depuis, Michel-Georges Michel.

Redonner l’épaisseur du temps et de la vie

Alors que notre société vit de plus en plus dans l’instantané, dans l’éphémère, le travail de Raphaël Denis resitue, recontextualise.

Je me bats pour ça, pour ce rapport au temps. Cette série de « cartes postales » va dans le même sens. Elles représentent des tableaux spoliés, restitués et qui figurent aujourd’hui dans des collections publiques. Prenez ce Picasso, la carte mentionne tout son parcours. Lorsque vous le voyez à la Fondation Beyeler, vous percevez toute sa dimension esthétique mais vous ne connaissez pas son histoire. Derrière l’objet d’art, il y a une histoire passionnante qui est la nôtre. Cette série rejoint ce que nous avons évoqué : un rapport au temps, au temps long et à l’histoire propre à chaque objet d’art.

Nous évoquons alors «  Deux filles nues », cet album montrant un tableau qui , lui aussi, passe de mains en mains et dont le témoignage nous permet de voir le monde dans lequel il a voyagé contre son gré. On notera aussi que le titre donné par Raphaël Denis a son travail exposé est  » La loi normale des erreurs ». Oxymore qui mêle l’erreur à l’errance et à l’aventure.