Histoire de la gastronomie, brève mais véridique

Histoire de la gastronomie, brève mais véridique

16 août 2023 Non Par Paul Rassat

L’été venu, il est de bon ton de parler nourriture et gastronomie. Voici donc une Histoire brève mais véridique de la gastronomie en quelques épisodes. Celui-ci est le premier.

La tradition catholique remonterait en ce domaine à cette fameuse histoire de pomme si bien illustrée par Jean Effel.

Tous les ingrédients concourant à la recette primale sont présents : la nature, les consommateurs innocents, la tentation et le péché.

Tout comme chez les musulmans, le paradis est un jardin qui nourrit à profusion :

 « Voici la description du Paradis qui a été promis aux pieux: il y aura là des ruisseaux d´une eau jamais malodorante, et des ruisseaux d´un lait au goût inaltérable, et des ruisseaux d´un vin délicieux à boire, ainsi que des ruisseaux d´un miel purifié. Et il y a là, pour eux, des fruits de toutes sortes, ainsi qu´un pardon de la part de leur Seigneur. » [Coran 47, 15].

On notera que l’Islam n’interdit pas l’alcool mais l’ivresse, contrairement au poète pas toujours regardant sur la qualité :

« Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. »

L’histoire fondatrice de la pomme permit à la surdité de Beethoven de composer une symphonie qui fait date dans le répertoire classique :  « Pomme, pomme, pomme, pomme… »

Au cours des âges, le fruit défendu connut bien des adaptations. Les sœurs Tatin en furent renversées, Chirac lui doit son élection à la Présidence de la République. Entre- temps elle aurait valu à Copernic une révélation scientifique.

Chassés du jardin d’Eden, Adam et Eve durent travailler dur pour remettre le couvert.

Mais nous brûlons les étapes car ce qui semble acquis pour les croyants ne l’est pas forcément pour les scientifiques et pour ceux qui pensent qu’il y eut une préhistoire.

Pour traiter ce sujet, nous sommes allés aux sources les plus sûres, celles du roman.

 Pourquoi j’ai mangé mon père  de Roy Lewis et  L’écho des cavernes (ou comment cro-magnon a inventé la grammaire)  de Pierre Davy.  Deux chefs d’œuvre d’imagination et d’humour.

Le second imagine très sérieusement l’évolution du langage liée à des situations et à des exigences précises et il est intéressant de relever que langage et nourriture sont intimement liés.

Voici un extrait du prologue :

« Des antilopes. Trois antilopes ! Des bêtes magnifiques. Les deux femelles broutaient, tandis que le mâle veillait, faisant pivoter lentement, insolemment ses grandes cornes annelées. Elles étaient là, à quelques pas de la rivière, presque à portée de javelot. Tapi dans les fourrés de la rive opposée, Sapiens les dévorait des yeux, la salive à la bouche, serrant les poings sur sa massue inutile.

   La tactique à employer lui apparaissait clairement, mais il fallait être plusieurs…

   L’homme s’éloigna en rampant silencieusement sur les coudes et les genoux…Hors de souffle, il fit irruption dans la grotte. Comme d’habitude, l’odeur de fumée et de peaux mal tannées prenait à la gorge et on distinguait à peine les corps allongés dans cet invraisemblable capharnaüm. Ils étaient presque tous là, désœuvrés, plus ou moins vautrés dans la pénombre. Sapiens enjamba un tas d’ossements mal nettoyés de leurs tendons et s’avança vers le chef. Il dit :

   _ Wroumpf !

L’autre leva une paupière lourde en sa direction et baîlla.

   _ Wroumpf ! insista Sapiens, et pour montrer l’urgence de la situation, il émit une série de petits « wroumpf » sur un mode plus aigu.

   Tous le regardaient, mais pas un œil ne laissa filtrer la moindre lueur de compréhension ni d’intérêt. Sapiens saisit un épieu qui traînait au pied de la paroi et le mit entre les mains d’un de ses frères cadets. Lui tournant le dos, il se courba en avant, allongea ses deux mains en forme de corne de chaque côté de sa tête et, en une série de ruades de la croupe, il imita de son mieux les bonds des antilopes. Après quoi, il indiqua du bras le bas de la colline.

   Le chef s’éveilla de sa torpeur et bondit sur ses pieds.

   _ Wroumpf ? questionna-t-il.

   _ Wroumpf, wroumpf, wroumpf, confirma Sapiens en montrant trois doigts.

   Ceci fait, il allait, par une mimique appropriée, tenter d’expliquer sa méthode de chasse, quand il fut à demi piétiné par tous les hommes de la horde qui, saisissant des armes au passage, se ruaient au-dehors et déboulaient la pente, le chef en tête.

« Les cons ! » pensa Sapiens, dans un « wroumpf » désespéré.

Sapiens avait innové et anticipé sur une célèbre réplique de cinéma qui, des siècles plus tard, déclarerait « Pas de bras, pas de chocolat ». Pour la préhistoire, la leçon s’imposait « Pas de mots, pas de gigots. »