La vacuité comme modèle

La vacuité comme modèle

22 mai 2023 Non Par Paul Rassat

Voici une contribution de Bernard Favre, à qui l’on doit le film La Trace. Il est aussi historien et connaît parfaitement les Savoie. «  La vacuité comme modèle » fait écho à un article déjà publié par Talpa.

L’oubli du passé

« On semble avoir oublié le passé culturel et artistique d’Annecy » Un oubli ? Pas sûr. On vient de retrouver cette plaque dans une salle isolée du Palais de l’Isle.

Un oubli qui efface une page bien peu glorieuse de nombre d’Annéciens qui firent un accueil triomphal au chef de l’État français. Un Pâquier noir de monde. Une ville où les affidés de Pétain ont été bien plus nombreux que ceux déterminés à résister.

Le Petit Savoyard – 27 septembre 1941

D’un oubli l’autre

À cet oubli en succèderont d’autres : celui de la Milice, de la collaboration. Pensée lacunaire. Tout le monde blanchi grâce au courage de quelques-uns qui se sont dressés contre un régime criminel. On gomme, on minimise, on relativise, on oublie. Tout comme le formidable élan culturel né de la Résistance et animé par ceux de Peuple et Culture, mouvement qui « veut rendre la culture au peuple et le peuple à la culture ».

Oubliés les camarades d’école qui, rentrés dans la milice, vous « invitaient à partir en Allemagne, précisant « ça te fera du bien », oubliées les peurs, les lâchetés, les divisions, les affrontements, les ruptures ou remisées dans une quelconque pièce isolée ? Le vide tente de prendre la place du désir d’abondance, l’oubli à la place de la mémoire. Plus d’histoire ou d’origine. La vacuité comme modèle !

Talpa reprend la patte et la plume

L’Histoire non écrite

Lors de la restitution de leur travail réalisé en 2017 pour le Conseil Local du Développement d’Annecy, Jacques Lévy et Romain Lajarge pointaient un fait important. La Savoie a écrit son Histoire passée et lointaine. Elle écrit son Histoire actuelle. Mais elle n’a pas écrit celle qui semble correspondre à l’époque que pointe Bernard Favre. D’où, disaient les deux universitaires, la difficulté d’intégration rencontrée par les nouveaux arrivants.

Pastiche de Savoie 

Attention, attention, ceci est un pastiche inspiré par l’article L’amstellodamois qui figure dans L’encyclopédie de la stupidité de Matthis van Boxsel. Un pastiche qui répond à ce vide pointé plus haut.

Un Savoyard est un Savoyard

Qu’est-ce qu’un Savoyard ? Un Savoyard est celui qu’on appelle un Savoyard. Le nom seul insuffle la vie au Savoyard. Mais ce n’est pas tout. Tout Savoyard se réfère à quelque chose d’incompréhensible pour les profanes. On connaît ou on ne connaît pas ; impossible à expliquer. Le gag est évidemment  que ce noyau mystérieux n’existe que par la grâce de l’ignorance de l’autre. Mais le Savoyard lui-même n’a pas la moindre idée de ce dont il parle !

La savoyartitude

La « savoyartitude » sème la discorde entre les habitants : qu’est-ce que le véritable Savoyard ? Ainsi, la savoyartitude empêche les Savoyards de devenir savoyards. C’est la stupidité destructive. Mais en même temps, cette idiotie est une condition d’existence, car se disputer à propos de son identité définit le véritable Savoyard. C’est pourquoi cela n’a aucun sens de dire qu’il n’existe pas d’authentique Savoyard ; le Savoyard n’existe que dans l’échec.

Le doute essentiel

Le Savoyard ne prospère que dans la distance qui le sépare de lui-même en tant que Savoyard. Le Savoyard est typique de la Savoie dans l’étonnement, le doute qui le stimule à se manifester en tant que Savoyard. Il est de Savoie dans les montagnes, la croix de Savoie, le folklore, le baroque et les autres preuves plus ou moins monumentales de son impuissance à avoir prise sur la savoyartitude. Il est de Savoie dans le bluff, la série sans fin de tentatives hautes en couleur mais ratées de prouver qu’il est un Savoyard. C’est la raison pour laquelle le plus grand Savoyard vient toujours d’ailleurs. La France  est la capitale de la Savoie…

   Un Savoyard de naissance n’a pas besoin de s’affirmer, il n’ajoute rien à l’identité de la Savoie. Il est, somme toute, superflu….

De la stupidité universelle

Matthis van Boxsel parle d’Amsterdam. Il serait possible d’appliquer son texte à bien d’autres régions ou lieux que la Savoie. La stupidité est universelle, et donc, aussi, savoyarde.