Le sacré

Le sacré

3 août 2023 Non Par Paul Rassat

« Le sacré est ambigu : il se confond souvent avec le maudit ou le honteux. Le mot sacré… vient du latin sacer désignant ce qui appartient au domaine du divin et doit être exclu du contact des hommes ordinaires. Le sacré s’oppose au profane…Mais le sacré n’est ni bon ni mauvais : le sacrum était un os d’animal proche des entrailles que les devins examinaient dans les aruspices. Les vertèbres sacrées sont au contact des zones de l’excrétion et de la génération mais ce voisinage avec les organes « honteux » n’est pas contradictoire avec leur nom. »       

                                                Odon Vallet   Petit lexique des mots essentiels

La parole

 Lorsque Jean Girel, après quarante années de travail, a pu admirer au Japon le vase Yohen Temmoku qui est considéré comme la perfection parmi les trois exemplaires conservés à ce jour, il a pleuré, le directeur du musée a pleuré ainsi que toutes les personnes présentes. Il a  été interdit de filmer cette visite. Jean Girel explique que, une fois cette intense émotion digérée, le vase s’est mis à lui « parler ». C’est alors qu’il parle de « sacré ».

Le temps, le jeu et la cohérence

Dans le film réalisé par Yannick Coutheron Yohen L’Univers dans un bol, Jean Girel confie «  Il faut rester ou être redevenu un enfant. Un enfant qui a toute la vie devant lui. » Un enfant prêt à subir six mille échecs pour produire la pièce ! Car dans cette alchimie le but ultime est de se perfectionner soi-même. Là se trouve la cohérence. Clément Rosset écrit «  Le premier travail d’un enfant est de jouer….Il faut s’employer à employer le temps car que serions-nous sinon ? Du jeu à l’état pur. Un jeu qui jouerait à inventer ses propres règles pour pouvoir continuer à jouer. Le moyen d’échapper le plus longtemps possible à sa propre finitude. L’emploi du temps, à l’inverse, fait s’enchaîner une suite interminable de fins qui morcellent le jeu pour le transformer en activité, travail, occupations, missions, réalisations. »

Le temps encore

Combien de temporalités concentre et conjugue une céramique ? Celles de la Création et de la création. Celle de la préméditation. Celle de l’expérience accumulée du créateur. Celle du moment où le spectateur voit, découvre, observe, s’imprègne. Celle de la rencontre entre ce présent, sa culture et ses émotions déjà emmagasinées, de la machinerie à créer des souvenirs à venir, celle de la transmission par l’émotion, par la parole… La recherche du céramiste est recherche d’éternité. D’un temps qui le dépasse.

 Les vertus de l’échec est le titre d’un livre de Charles Pépin.  Un passage du magnifique film Dernières nouvelles du cosmos de Julie Bertuccelli revient sur le sens de l’expression « Errare humanum est » qu’on traduit habituellement « Se tromper est humain…l’erreur est humaine » mais errare signifie aussi « errer, aller à l’aventure ».

Les vertus de l’aventure

Ainsi, l’aventure est humaine…et inclut forcément des erreurs et des échecs. Et nous retrouvons ici Pierre Soulages et Jean de la Croix, avec une touche de mysticisme.

Les poteries que nous sommes

«  La poterie, c’est l’art d’entourer du vide. Comme la maison. » Nous sommes ces poteries qui laissons un vide après notre départ. Vide plein d’amour, d’émotion, de souvenir. L’humanité est constituée de générations de potiers. Nous prenons plus ou moins bien les reflets de la lumière qui danse sur nous et que nous transmettons. Certains plongent dans les cratères d’Islande et en retiennent des émotions colorées. Les céramiques de Jean Girel sont des cratères dont le feu originel vous pénètre alors que vous croyez le capter du regard. « ..L’homme possède le vide ». Nous sommes cette fine paroi où se joue chaque univers.