Le ski, la montagne et la philosophie
11 novembre 2021Sisyphe et le ski
« Mon Dieu que la montagne est belle
Quand les skieurs se paient des gamelles… « Quand te reverrai-je, pays merveilleux… » ? Et qu’est-ce que le rire qui saisit soudain celui qui vient de dévaler toute la pente sur son séant, vite doublé par ses propres skis, sinon la jubilation jointe à la catastrophe ? Oui, cette fois-ci, je l’ai compris : les vacances au ski, c’est le moment décisif des Sisyphe heureux. Et c’est d’ailleurs sûrement au ski que Camus songeait lorsqu’il affirmait qu’il fallait « imaginer Sisyphe heureux ». » Extrait d’une page brillante et drôle d’ Yves Cusset, philosophe désopilant à lire et à voir sur scène.
[ La photo représente un ski vieux de 1300 ans retrouvé récemment en Norvège]
Descendre pour se remonter le moral
Acceptons ce lien entre le Sisyphe heureux de Camus et le skieur qui passe son temps à remonter pour pouvoir redescendre. N’oublions pas cependant que, se remontant, le skieur en profite, normal, pour reprendre du poil de la bête, qu’il redescend ensuite à rebrousse-poil, d’où les accidents. Normal. Prendre la montagne à rebrousse-poil est dangereux. Mieux vaudrait donc faire de la vitesse en remontant et descendre sagement, car pourquoi ne pas imaginer Sisyphe prudent ?
Les voies de la glisse philosophique
Pourquoi ne pas apporter une dimension philosophique à la pratique du ski en changeant l’appellation des pistes, si banale aujourd’hui ? Il y aurait, par exemple, la piste Nietzche pour les usagers au sens de l’orientation défaillant. Une sorte de piste de l’éternel retour au point de départ. La piste Voltaire, éclairée de nuit aux Lumières de torches façon 18°. La piste à bosses serait inévitablement une Bergson sur laquelle se tordre. La Socrate serait à géométrie variable. Elle permettrait de toujours se redécouvrir dans un environnement changeant et surprenant afin de se mieux connaître. La Descartes donnerait, par la pratique raisonnée du ski, l’assurance d’exister. Chaque station serait invitée à créer ses propres appellations qui susciteraient de l’originalité et de la variété afin d’échapper au ski unique comme les plus audacieux des porteurs de cerveau tentent d’échapper à la pensée unique, voire à l’unique pensée pour les plus défavorisés.
La pensée parabolique
Pourquoi ne pas renforcer la nature philosophique du ski ? Il est bien évident que cette discipline n’attend, pour la porter vers les plus hauts sommets de la civilisation, que d’être développée intellectuellement et philosophiquement. Aux skis de même forme, pourquoi ne pas associer la pensée parabolique afin de mieux négocier les courbes et les virages de la vie sans s’embarrasser l’esprit de fixations inutiles qui font la joie des psychanalystes ?
Les vertus du bâton
Quant aux bâtons ! Ah, les bâtons, ils représentent à eux seuls ce que l’humanité a inventé de plus subtil et de plus efficace pour assurer l’autopropulsion. Tout le monde pousse. Le crooner pousse la chansonnette, certains se poussent du col, le goujat pousse le bouchon, les animaux les plus proches de l’Homme poussent eux aussi, à l’image du bousier et de sa boule de crotte. Sisyphe, lui, pousse son rocher dans son petit coin d’éternité.
Pousser de façon existentielle
Le destin de l’Humanité est bien de pousser . Le vrai problème est de savoir où, dans quelle direction et dans quel but. Car à trop forcer sans intention précise, on peut finir par être remonté contre soi-même, et comme les religions interdisent de s’auto descendre… ! « Notre route est droite, mais la pente est forte » a déclaré un philosophe contemporain fourvoyé en politique et adepte du moindre effort. Le véritable amateur de sensations fortes y rajoute, bien sûr, le slalom.
Il faut donc imaginer Sisyphe skieur.