Le vin, la gastronomie : Hervé Richez

Le vin, la gastronomie : Hervé Richez

20 février 2023 Non Par Paul Rassat

Rencontre l’été dernier à Cluny. Il a fallu le temps de laisser « vieillir » un peu notre conversation comme un bon vin. Informelle, elle évoque aussi bien 12 rue Royale qu’Un grand Bourgogne oublié, le vin en général, les abbayes, les moines…

12 Rue Royale

Si nous commencions en évoquant 12 Rue Royale ?

Je l’avais écrit en interviewant le chef Mathieu Viannay. Il fallait traduire la spécificité du lieu, que l’histoire soit amusante, et transmettre les valeurs de cette maison vénérable liée à l’histoire des mères lyonnaises.

Grâce à la gastronomie étaient abordés les thèmes du partage, de la confiance en soi…tout un parcours.

Il me semble que c’est inhérent à la gastronomie. Je connais du monde dans ce milieu ; ce sont des gens avec qui j’ai plaisir à partager. Puisque nous parlons de 12 rue Royale, je rappelle que j’ai eu un énorme plaisir à faire un bouquin avec  Efix. Il est l’une des premières personnes que j’ai rencontrées dans le monde de la bande dessinée. L’un de mes plus vieux copains.

Le fil rouge de l’amitié

On retrouve dans votre livre Un grand Bourgogne oublié cet axe de l’amitié.

Bien sûr. C’est aussi lié à la personnalité de Manu, qui est vigneron. Il est un personnage haut en couleurs, truculent. Et puis j’ai une approche plutôt rabelaisienne de la cuisine et du vin. Même s’ils deviennent très chers, ils demeurent pour moi, avant tout, des univers de convivialité. Je m’entends immédiatement avec les personnes qui aiment le vin. Nous avons un langage commun.

Quel que soit le vin ?

C’est une question piège. Je ne veux pas dire de mal du Bordeaux (rire).

Les pièges de l’uniformisation

Votre point de vue vient de ce que nous nous rencontrons à Cluny ?

Pas du tout. Je viens du nord. Le Bordeaux s’était un peu perdu avec Parker. Il faut s’y intéresser parce qu’il y a actuellement un changement dans la manière conduire les vins. La parkérisation avait conduit à une uniformisation.

C’est ce que l’on a dans la nourriture quotidienne avec la part de plus en plus importante de l’industrialisation alimentaire.

Ça uniformise, oui. Mais j’aurais presque plus d’indulgence pour ce domaine que celui des vins. Il y reste des goûts différents.

La fiction plus vraie que vrai

À l’opposé, votre Bourgogne oublié est pratiquement unique. Il faut se livrer à une véritable recherche d’identité pour le retrouver.

C’est lié à la personnalité de Manu. Moi, j’ai apporté la structure dramatique. C’est une BD où tout est faux, mais tout est vrai. Tous les éléments qui la composent sont vrais. Mais l’histoire n’a pas existé. Je suis le pilote de la dramaturgie. Manu a donné la vérité du vin. La thématique sur laquelle nous avons travaillé est simple : qu’est-ce qu’un grand vin ? Nous voulions aussi une dimension vivante, moderne du dessin parce que le monde du vin est aujourd’hui tout sauf engoncé. C’est un monde hyper gourmand.            

Évolutions du monde du vin           

 Pour quelle raison cette évolution ? Je ne sais pas vraiment. Mais je remarque qu’on est gentiment en train de se perdre à cause des prix. Produire du vin est probablement de plus en plus cher. Il faut tenir compte des aléas climatiques, d’une sorte de boboïsation aussi. De nouvelles tendances émergent, comme le vin nature, que j’adore. La vérité exige cependant de dire que certains vignerons ont doublé leurs prix en quelques années. Pas tous.

On va boire de plus en plus de vin dans la mesure où l’eau renferme de plus en plus de micro particules de plastique !

Il paraît que l’on avale, par an, l’équivalent d’une carte bancaire.

Sans le pouvoir d’achat qui va avec…

Je ne dois boire que l’équivalent d’une demi – carte bancaire, ça va.

La vigne, le terroir, l’homme, les moines

La production de vin relève apparemment d’un tel savoir-faire que ça relèverait d’une approche d’alchimiste. Vos vignerons qui goûtent le nectar mystérieux dont on recherche l’origine pensent qu’il n’y a qu’une seule personne qui a pu le créer.

Le vin est la rencontre entre trois choses. Le pied de vigne, le terroir et le vigneron, l’homme. Certains vignerons ont de vraies signatures. C’est la part de création, comme en musique. Il faut un bon terroir, une conduite exemplaire à la vigne, de bonnes conditions climatiques. D’autant plus avec le réchauffement climatique. Ici, en Bourgogne, le vin était l’apanage des moines. On parle de vin monastique. Les plus grands terroirs étaient des clos. C’est ce que l’on retrouve dans l’album. Manu en parle très bien. Les vignerons essayent de regagner ces terroirs perdus au siècle dernier avec la crise du phylloxéra. Les moines savaient où s’installer. Même pour implanter une abbaye. Ici, à Cluny, il se passe un truc différent. Il y a un mois, je suis allé rencontrer Nicolas de Saint-Exupéry. Il s’est installé à la Chartreuse de Mougères. À côté des vignes…

La mémoire du vin

La conversation roule sur la présence de l’abbaye de Cluny, les artistes installés dans le coin. Il doit effectivement se passer quelque chose de particulier. Et puis, le vin nous amène assez naturellement à Jean Carmet.

Je regarde régulièrement des videos où il parle du vin, du Bourgueil, de sa relation avec Depardieu.

Retour sur 12 Rue Royale

En voici un  aperçu écrit il y a quelques années. «Un voyage dans l’Histoire sociale, dans celle de la cuisine avec détour sentimental et culturel via la Mère Brazier.

Le grand intérêt de cette BD est qu’elle nous plonge au cœur de la cuisine créative sans sombrer dans le récit ni dans une narration énumérative qui serait paraphrase permanente et n’engendrerait que de la frustration faute de pouvoir faire entrer le lecteur au cœur des sensations et des émotions.

Par l’inventivité des métaphores, par la poésie, par l’humour et la dynamique du scénario, Richez nous transporte dans un univers qu’incarne parfaitement le dessin d’Efix, jusque dans le rendu capillaire nerveux et dansant du chef Mathieu Viannay qui, au cours de ce voyage gastronomique et initiatique, doit relever sept défis.