L’Éditaupe #2 — Après l’vaccin

L’Éditaupe #2 — Après l’vaccin

2 décembre 2020 Non Par Paul Rassat

Dialogues de taupes

— Le monde d’après, le monde d’après !
— Quoi, le monde d’après ?
— Si tu ne creuses pas maintenant dans la continuité du monde d’avant, le monde d’après, tu ne le verras pas !
— Déjà qu’on ne voit pas grand-chose en temps normal.
— Alors on creuse. Maintenant !

— Un vaccin efficace à 70%.
— Plus un vaccin efficace à 95%.
— Ça fait déjà 165% d’efficacité.
— Et il y a plus de dix vaccins en préparation !
— On est de plus en plus efficaces. Allez, on creuse pour fêter ça.


Le monde d’après

On a beaucoup entendu parler du monde d’après pendant le premier confinement. Sans doute parce que l’on pensait qu’il suffirait à vaincre le virus. Malheureusement le monde d’après se trouve retardé par le monde de pendant. Pour qu’il y ait un après, il faut d’abord un pendant qui se transforme en avant.

L’avenir, c’est du passé en préparation

Pierre Dac

Etymologiquement, « après » vient du latin adpressum qui signifie près de et a supplanté post au sens purement temporel, alors que après peut aussi s’employer géographiquement ou spatialement. Avec un peu de patience, on pourra peut-être entrevoir le monde de derrière puisque l’on met derrière à toutes les sauces. On prend un dessert ou non derrière le plat principal ? On se cache même derrière son petit doigt. C’est dire si « derrière » occupe le devant de la scène !

« Après » avait son charme, non seulement dans l’espoir d’un monde d’après mais aussi pour son poids historique. « Après moi le déluge » fait-on dire à Louis XV. On sait ce qui arriva à Louis XVI. Quant à postérieur, même s’il annonce une rotondité parlante, il laisse à l’expression « la faire à l’envers » le pouvoir de s’introduire désagréablement dans l’éventail des possibilités.

Mais revenons au monde d’après à propos duquel le véritable espoir serait qu’il prenne la forme d’un monde sans apprêt, un monde simple et naturel.

L’espoir d’un vaccin

Il nous faut, pour y accéder, passer par un vaccin qui nous permettra de parvenir à l’état de majeurs et vaccinés, adultes, responsables, indépendants. Un vaccin qui nous rendrait responsables ! Un vaccin contre le virus et contre la connerie ! Sans contre indications, sans effets secondaires. La même injection permettrait de lutter aussi contre le syndrome du côlon irritable qui sévit depuis des siècles. On en connaît très bien les symptômes : diarrhées, emmerdements quotidiens, crispations diverses dont les colonisés subissent les effets depuis trop longtemps.

Il est impossible de traiter la question du vaccin sans évoquer la vaccine, cette maladie infectieuse de la vache à laquelle l’humanité doit tant puisqu’elle permit à Edward Jenner d’inventer le vaccin en 1796. Deux siècles plus tard, malgré tous les efforts des scientifiques, nous n’en avons toujours pas contre les crises d’égotisme.

Épidémie d’égoïsmes

Reprenant sa chronique radiophonique du 25 juin 2001, Alain Rey écrit :

Pour le biologiste, l’ennemi est un virus ; pour tout le monde, un autre ennemi s’est dévoilé : l’inégalité économique, représentée (entre autres) par les intérêts financiers des multinationales pharmaceutiques. Sans diaboliser les grands laboratoires, on doit admettre que l’épidémie des égoïsmes, celle des valeurs du marché financier, celle des indifférences sont aussi mortelles que celle des virus. Des agents infectieux, en vérité.

À mots découverts, Chroniques au fil de l’actualité – Alain Rey

Médecine et science sauveront probablement l’humanité. Puisque nous pataugeons dans le même modèle économico-politico pathogène, pourquoi ne pas nager ensemble vers d’autres eaux ? Pourquoi ne pas faire vivre la bienveillance du mot « humanité » ? La taupinière s’en porterait bien mieux.


Crédit photo de couverture : un seringat ou Philadelphius Coronarius — Åge Hojem — CC BY 2.0