Littérature jeunesse intelligente

Littérature jeunesse intelligente

7 juillet 2023 Non Par Paul Rassat

Rencontre au Salon des écritures de Cluny avec Alain Mendel qui a créé les éditions du SEKOYA et avec Zaü, dessinateur qui sait faire simple pour aller à l’essentiel. Il est question de leurs collections de littérature jeunesse.

Alain Mendel

Un peu de journalisme. Une dose de publicité, du marketing jusqu’en 1998 / 99. Que faire la retraite venue ? C’est la question que s’est posé Alain Mendel. Un livre sur les cours et jardins de Besançon. Un livre qui peut se lire, comme au théâtre, côté cour ou côté jardin. Succès. Tout le patrimoine de l’histoire de l’art prolonge cette première réalisation. Quelques insuccès se glissent dans la démarche.  Il n’y a pas de recette préétablie.

La passion d’abord

— C’est quand même une belle aventure. On rencontre des gens. De livre en livre, j’ai créé ma maison d’édition en décembre 1999 pour commencer le 1 er janvier 2000. Pour entamer l’année, le siècle et le millénaire. J’ai toujours eu la passion de l’histoire de l’art. Lorsque j’emmenais mes enfants et mes petits enfants dans les musées, je me rendais compte qu’on a du mal à les intéresser à l’art.

Intéresser les enfants à l’art par le biais de l’animal

Faites – leur prendre des selfies ! Les musées en font la promotion pour attirer le public.

J’ai justement un livre sur les selfies dans les musées. Je me suis demandé par quel biais on peut intéresser les enfants à l’art. J’ai discuté, fait des recherches jusqu’à ce que la réponse s’impose «  Que regarde un enfant lorsqu’il voit une peinture avec un animal ? » La première chose qui l’intéresse est l’animal. Celui-ci va donc être le biais pédagogique pour amener l’enfant à l’histoire d’un peintre et à ses œuvres. Nous avons commencé cette collection avec Zaü au dessin en 2018. Zaü qui est très connu dans le milieu de l’illustration jeunesse. Le musée de Moulins lui consacre une exposition.

Ne pas sous estimer les enfants

 Vous vous adressez aux enfants sans bêtifier.

Il ne faut pas prendre les gens pour des idiots. Ni les adultes, ni les enfants. Il faut trouver le langage, le prétexte intéressant. Pour cette collection, chaque livre montre un artiste, une œuvre, un animal. Par le dessin et le génie de Zaü, l’animal sort à un moment de la toile et dialogue avec l’enfant pour lui raconter une histoire : la vie et l’œuvre de l’artiste.

Vous parlez de pédagogie. L’animal joue aussi un grand rôle dans certaines thérapies.

Les enfants sont fascinés par les animaux. Ceux-ci permettent de calmer certains symptômes, d’installer une conversation.

Léonard de Vinci et Van Gogh savent ce que vous faites de leurs animaux ?

Non, mais je pense qu’ils ne seraient pas contre. Pour les avoir peints, ils devaient les aimer. Vinci a d’ailleurs réalisé toute une série de dessins anatomiques sur les animaux.

Faire simple

À quelle tranche d’âge vous adressez-vous plus précisément ?

Il faut intéresser les jeunes à la lecture avant qu’ils soient pris par les écrans. Le plus compliqué étant de faire simple. Ça nécessite de trouver le bon texte qui aille avec la bonne image et avec le bon sujet pour raconter une histoire qui captive. Pour les tout petits, de trois à six ans, nous proposons Les couleurs des peintres. Les couleurs de Monsieur Matisse, Les couleurs de Monsieur Picasso, Les couleurs de Fernand Léger. On ne parle pas d’histoire de l’art mais de couleur. Prenons Matisse. On raconte qu’il était malheureux, jusqu’au jour où un chat s’installe dans sa maison et l’apprivoise. Le chat emmène Matisse se balader et lui fait découvrir les couleurs de la nuit, les couleurs du jour, chacune correspondant à un thème. Comme les couleurs forment joie et bonheur, Matisse revit. Le livre n’est pas très loin de la réalité. Matisse, touché par l’arthrose, n’arrivait plus à peindre. Son assistante, par des découpages, lui a permis de continuer à travailler.

La passion, et la rencontre comme ligne éditoriale

Tous vos livres semblent reposer sur le lien, la rencontre, la découverte.

Certains me reprochent de ne pas avoir de réelle ligne éditoriale. Ce sont les rencontres qui la constituent. Lorsqu’elles sont intéressantes, elles peuvent donner des livres. 173 en 23 ans, couronnés par douze prix, dont celui de l’Académie des Sciences. Je le souligne car nous sommes une petite maison d’édition. Cette absence de ligne éditoriale apparente me permet de faire simple et différent.

Zaü dit André Langevin, à moins que ce ne soit l’inverse.

Comment faire simple en dessin ?

J’ai travaillé une vingtaine d’années dans la pub. J’y ai été darftsman, j’y ai réalisé des stories boards. C’est une bonne école pour aller à l’essentiel. Et mes rencontres avec des élèves confirment que ça marche. La technique permet de rendre le mouvement, par exemple, en jouant sur les ombres. Résultat : le dessin va plus vite que son ombre, comme Lucky Luke. Mon trait ne marque pas le contour. Il est plus léger du côté de la lumière, plus foncé du côté de l’ombre. Je ne réalise pas une ligne claire, comme dans Tintin, mais un dessin qui bouge. Je fais plusieurs fois le même dessin. Un dromadaire, par exemple. Je le fais rapidement en trois exemplaires. Plus tard, je sélectionne ce qui me plaît le plus dans chaque réalisation. Je découpe et assemble en un collage que je passe à la photocopieuse. J’aime dessiner très vite, quitte à faire des erreurs et recoller ensemble ce qui marche bien.

Le fait d’aller vite permet d’avoir un geste maîtrisé par des années de techniques mais spontané. Comme dans la calligraphie.

Le résultat donne une forme de légèreté, comme si ça avait été fait du premier coup. J’aime que ça apparaisse facile. Le lecteur, surtout un enfant doit se dire «  Je peux le refaire. » C’est une forme d’invitation à dessiner. La tendance dans le dessin est pour la jeunesse serait de proposer des choses surchargées de détails, très colorées. Je préfère cette simplicité qui laisse de la place au lecteur. J’aime dire les choses le plus simplement possible pour qu’elles relèvent d’une forme d’invitation.