Malaz et son festival de théâtre

Malaz et son festival de théâtre

24 juin 2023 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Hugo Roux qui dirige la tête collective de la Compagnie Demain dès l’Aube et le Festival de Malaz.

C’est la quatrième année du Festival de Malaz sous ta direction. Que peut-on dire de ce parcours ?

Nous sommes contents d’attaquer cette nouvelle édition. Le Festival a été annualisé grâce à la ville et au département. Il se tient donc pour la troisième année consécutivement. Nous nous rendons-compte qu’il y a une fluidité dans l’installation, différente de la situation en biennale. Une mémoire s’installe, que l’on ressent. Les bénévoles sont présents de manière beaucoup plus régulière. Les liens entre le Festival et le territoire s’affirment encore davantage.

Faire son chemin

La période n’est simple pour personne, en termes de budget, de production pour la compagnie Demain dès l’aube comme pour le Festival, mais on partage cette incroyable énergie militante des bénévoles et des salariés. Je suis né dans ce parc ! J’ai l’impression qu’il avance avec les étapes de ma vie. Quand on est petit, on regarde en boucle les mêmes dessins animés, on relit les mêmes histoires. C’est à la lumière d’une histoire que l’on connaît que l’on peut évaluer le chemin que nous avons fait personnellement. Tu écoutes la même histoire, mais tu l’entends de manière différente. Tu comprends alors que tu as fait du chemin. J’ai cette sensation dans la conversation avec ce parc de Malaz. Les arbres ne bougent pas, mais lorsque j’y viens, je suis toujours enrichi d’une pensée différente.

L’esprit d’équipe

J’ai été heureux récemment que le directeur de La maison des Arts du Léman, à Thonon, à laquelle nous sommes associés, dise que notre compagnie fonctionne beaucoup comme un collectif.

Malaz, la compagnie, c’est un même état d’esprit : une équipe, un collectif.

Nous sommes vraiment dans une pensée commune. Je le vois dans la conduite des réunions, dans la présence des camarades d’école. Les amitiés nées du monde scolaire enrichissent la démarche. Cette année, Julia Giunta, artiste plasticienne fera partie de l’aventure. D’autres jouent pendant le festival.

La joie et l’énergie comme moteurs

Engagement, amitié, ce sont les piliers ?

La joie aussi ! La joie comme pilier de la création, partagée dans l’accueil des autres équipes artistiques. Tout au long de l’année, notre mission est d’aller jouer des spectacles pour les autres. Pendant une semaine, c’est nous qui accueillons les autres ici. Ce geste d’hospitalité, on essaye de le faire le plus possible dans la joie. J’y crois, même si on peut y voir une part de naïveté : faire les choses joyeusement, c’est déjà beaucoup.

Ce parcours est avant tout humain.

Il est en relation étroite avec la façon dont les gens avancent, grandissent. Malgré tous les soutiens indispensables, le Festival demeure dans une forme de précarité. Seule l’énergie que tous apportent  permet de combler toutes les lacunes  inhérentes à  l’organisation.

Le lien fort avec la nature, avec le public

Le cadre participe pleinement à cette aventure humaine. Jouer en extérieur apporte quelque chose aux acteurs et au public.

Le noir total n’est pas possible. On voit donc directement le public. Le lien est fort. On vit une injonction paradoxale puisque l’on est battu d’avance par les tilleuls centenaires sous lesquels on joue…

Ce n’est pas une bagarre, mais un accord à construire.

C’est ça ! On revient ainsi aux origines, aux sources du théâtre, à la Grèce antique, pour se reconnecter à l’originel.

Il est alors question de construire un véritable théâtre de verdure…

Un aperçu de la programmation

Quel est l’esprit de la programmation cette année ?

Il est toujours le même. En première partie, à 19 heures, on accueille tout le travail de l’action culturelle accompli par la compagnie au long de l’année. La typicité du Festival est qu’il est organisé par une compagnie, par des gens qui créent. Nous intervenons au centre hospitalier d’Annecy, dans des établissements scolaires, à l’hôpital psychiatrique, à la maison d’arrêt de Bonneville. Les spectacles que nous y créons ont leur moment de représentation à 19 heures. On retrouvera sur scène et dans le public des lycéens, des gens de l’EHPAD de Saint-Julien en Genevois. Pour les spectacles professionnels de 20 heures 30, notre ambition est toujours la même.  

L’ambition d’un théâtre populaire

Nous accueillons des camarades qui construisent un théâtre qui me semble correspondre à ce que je fais moi aussi à mon humble place : reconstruire un théâtre populaire au sens vitézien du terme. Un théâtre élitaire pour tous qui se fonde sur une exigence profonde de ce que doit être un geste artistique ; un acte artistique. Ce faisant il faut participer à la plus grande accessibilité possible de ce geste pour que tous les spectateurs puissent le découvrir et le recevoir.

La vie, quoi…

Nous travaillons donc sur des formes différentes. Il y a du théâtre masqué joué par des gens qui ont fait de cette forme un engagement total auprès de la commedia dell arte et de ses techniques. Comment les redéployer aujourd’hui pour concerner et intéresser le public actuel. C’est du jeu masqué de haute volée. Une équipe du sud propose un spectacle qui m’a bouleversé l’an dernier au Festival d’ Avignon, Baran, une maison de famille. C’est une maison familiale dans laquelle on retrouve chaque année une fratrie, deux sœurs et un frère. On les voit à 10, 20, 30 ans. La vie avance, des conjoints viennent se greffer. C’est la vie de toute une famille dans son humour profond, dans son grand amour, dans les tensions…

 La poésie du quotidien

Tu as déjà, malgré ton jeune âge, une vision en perspective du temps et des relations entre les gens et celui-ci. C’est l’un des axes de ton travail.

C’est vrai. Comme dans Leurs enfants après eux, Les raisins de la colère aussi. Baran m’a bouleversé parce que c’est la poésie du quotidien. Comment rouvrir les yeux sur l’humour, l’amour qui nous entoure. Comment poser pendant quelques instants un regard plus acéré sur notre monde. Il y a d’autres spectacles, comme ceux de la Compagnie Demain dès l’aube, La Place d’Annie Ernaux que nous avons joué à Paris.

La nouveauté

Pas de billetterie cette année, pour que le Festival soit pleinement accessible. Chacun donnera en fonction de ses moyens. Nous espérons que les gens joueront le jeu, qu’un équilibre se fera entre les plus démunis et les autres.

Talpa creuse

Malaz viendrait du malus latin. Le mal, qui renverrait au fruit défendu (voir l’étymologie du mot pomme).  Épisode pas si malheureux puisque, sans cet exil du paradis, nous ne partagerions pas le théâtre. Le parc de Malaz et son Festival sont peut-être un moyen détourné pour renouer avec le paradis. Ce que Jean-Louis Hourdin appelle « anticiper la réconciliation. »