Marguerite oubliée, par Bernard Favre

Marguerite oubliée, par Bernard Favre

7 décembre 2023 Non Par Paul Rassat

Marguerite oubliée s’ouvre sur un poème liturgique, l’un des plus célèbres de la liturgie des Jours redoutables. Il a pour thème la crainte devant le jugement divin et l’insignifiance humaine devant la majesté divine.

Marguerite, fille de Célestin (grand blessé de la guerre de 14) et Marie-Louise Neulat, est née en septembre 1920 à Argenteuil où elle a vécu ses premières années d’enfance avant qu’elle et sa famille ne partent pour Clermont de l’Oise avant de s’installer à Mouy.

Manifestant très tôt un réel talent pour le dessin, elle suit des cours puis, à 18 ans, part pour Amiens et son Conservatoire. Les bombardements allemands de mai 40 lui font fuir la ville après avoir été reçue à l’École Nationale des Arts décoratifs de Paris. Elle y rencontre Claude Sautet, sa première histoire d’amour.

Entrer dans la Résistance comme agent de liaison lui valut malheureusement la déportation à Ravensbrück dont, revenue, elle ne racontera rien à ses proches. Après quelques mois chez ses parents pour s’y refaire une santé, elle revient à Paris où elle retrouve son petit logement à côté duquel ouvre la première cave de jazz : les Lorientais. Il lui suffit d’en descendre les quelques marches pour changer de vie. Elle devient très vite une de ces jeunes femmes qui fréquentent le Quartier Latin et sa clientèle de zazous, de jazzmen (Claude Luter, Sidney Bechet, Baby Dodds…,) et d’intellectuels. Désormais, on la connait sous le nom de ″Guite″, exit Marguerite.

S’en suit alors une vie parisienne avec ses amitiés, ses amours puis son militantisme. Comme la plupart des résistants et résistantes, elle aspire à des jours meilleurs. Meurtrie par les coups reçus en Allemagne pour sabotage, elle se fait opérer du dos, décidée à faire un enfant avec l’homme qu’elle aime, un intellectuel du Parti. Fidèle à ses convictions, elle accouche à la clinique des Bluets, institution du Parti communiste. Elle y décède 2 jours après avoir mis au monde un garçon : une embolie pulmonaire lui fut fatale. Quelques mois avant, son frère avait trouvé la mort dans un accident d’avion.

À 38 ans, elle a quitté ce monde pour lequel elle s’était battue. Trente ans plus tard, injustice de l’Histoire, ses restes seront jetés à la fosse commune.

Il m’a fallu découvrir son parcours, sa trajectoire, poser de nombreuses questions, combler les vides laissés par les mémoires et l’Histoire.

Dix ans après « Cette lumière n’est pas celle du soleil », Cinq après la trilogie « Le chant des ruines », je continue mon travail sur les Résistantes et Résistants. Partir à la recherche de la vie de celle que ses amis appelaient Guite a eu le même goût d’aventure que de suivre l’étonnant parcours des personnages précédents. Par choix ou par obligation, ils ont à un même moment de l’Histoire fait preuve d’un même courage, d’une même détermination, d’une même envie de vivre et subi les mêmes outrages. Qu’elle repose en paix.

« L’écriture d’une biographie s’apparente à la construction d’un tombeau« , rappelle l’historien Charles Mercier, biographe de René Rémond.

« Qui vivra le temps qui lui a été imparti

et qui disparaîtra avant la fin de ce temps ? »

ונתנה תוקף – Unetaneh Tokef (poème liturgique)

Bernard Favre.