Mélancolie : Arthur Escoffier a un grain

Mélancolie : Arthur Escoffier a un grain

16 février 2023 Non Par Paul Rassat

Voici  le court texte qui accompagne les photos d’Arthur Escoffier accrochées à la Fondation Réal pour l’exposition «  De bas en haut. » Il y est question de mélancolie.

« Il y a cet instant entre la joie et la tristesse

Fragile, fertile pour l’Homme et la nature

Où la lumière et l’obscurité s’entremêlent.

Et c’est pendant cet instant, loin des superlatifs, que la grâce se révèle. »

Cette fragilité de la mélancolie qui nous élève au-dessus de la mélasse noire. Car la fragilité est une ouverture possible.

Oxymore, mon amour !

Que le mot «  oxymore » est trompeur ! Il sonne « occis » et « mort » mais ouvre le monde à l’espoir, à des associations inédites. «  Cette obscure clarté… » René avait imposé sa Méthode, séparé la raison du subalterne. L’oxymore rebat les cartes à l’infini. Arthur Escoffier s’y engouffre. Il y apporte un travail du grain qui donne à sa photographie, paradoxalement, une fluidité. Le plein et le vide y correspondent pour créer un appel à l’imaginaire. Une instabilité où s’engouffrer.

La fertile mélancolie

Andrea Marcolongo rappelle que la mélancolie est obscurité, noir, bile. L’absence de lumière qui éclaire la vie. Mais l’état mélancolique n’est pas stérile. Andrea Marcolongo cite Giacomo Leopardi. «  Les meilleurs moments de l’amour sont les moments d’une douce et paisible mélancolie où l’on pleure sans savoir sur quoi et où  l’on se résigne sereinement à une infortune dont on ne connaît pas réellement la nature. Dans cette paix, notre âme, moins agitée, se voit presque comblée et il s’en faut de peu qu’elle ne goûte à la félicité. » Le bas en haut d’Arthur Escoffier est émotionnel, spirituel, amoureux. Ses photos traduisent cet état vécu par Leopardi.

Avoir un grain

Andrea Marcolongo toujours  rappelle que le grain est à la fois graine et fruit. Ambiguïté, oxymore, dépassement de la réalité univoque. Étymologiquement, le grain vient de « hacher, moudre. » En photographie, le grain hache la réalité et la moud afin d’en donner une autre perception. Une autre réalité qui se fond à la première. C’est dans cet aller-retour permanent que nous emmènent les grains en noir et blanc d’Arthur Escoffier. «  Broyer, moudre, pour semer ensuite encore… nos greniers intimes sont ce que nous avons de plus précieux : il a fallu une vie entière, depuis l’état de graine jusqu’à aujourd’hui, pour devenir ce que nous sommes. »

La granulosité quantique chantée par Carlo Rovelli

« Sommes-nous faits, nous aussi, seulement de quanta et de particules ? Et alors d’où vient ce sentiment d’exister, singulièrement et à la première personne, qu’éprouve chacun de nous ? Que sont nos valeurs, nos rêves, nos émotions, notre savoir même ? Que sommes-nous, dans ce monde vaste et kaléidoscopique ?…

 « Nous », êtres humains, sommes avant tout le sujet qui observe le monde, les auteurs, collectivement, de cette photographie de la réalité…Nous sommes les nœuds d’un réseau d’échanges…dans lequel nous nous passons des images, des outils, des informations, de la connaissance.

Nous sommes atomes, grains

Mais du monde que nous voyons, nous sommes aussi partie intégrante, nous ne sommes pas des observateurs extérieurs. Nous sommes situés en lui. …Nous sommes faits des mêmes atomes et des mêmes signaux de lumière que s’échangent les pins sur les montagnes et les étoiles dans les galaxies…

Les images que nous nous construisons de l’Univers vivent en nous, dans l’espace de nos pensées…

« La nature des choses »

Nous naissons et mourons comme naissent et meurent les étoiles, aussi bien individuellement que collectivement. Telle est notre réalité. Pour nous, justement en raison de sa nature éphémère, la vie est précieuse. Car, comme l’écrit Lucrèce, «  notre appétit de vivre est vorace, notre soif de vie insatiable » ( De rerum natura III). ….

   Lucrèce le dit de manière splendide :

« Tous enfin nous sommes issus de la semence céleste,

Le ciel est notre père et ses gouttes limpides

Fécondent la mère accueillante et généreuse,

La terre qui enfante les blondes moissons,

Les arbres florissants, les hommes et les bêtes,

Et fournit à tous la nourriture qui repaît les corps,

Et permet de mener douce vie et se reproduire… »

Nous sommes tous des grains

Des grains, des atomes du clinamen chanté par Lucrèce. Des accidents composés d’atomes. Accidents au sens de ce qui arrive, ce qui survient. Jacques Higelin chantait «  J’suis qu’un grain de poussière » et Boby Lapointe «  Un p’tit grain de fantaisie ». La mélancolie qui imprègne les photographies d’Arthur Escoffier nous emporte car nous nous y reconnaissons sans nous voir.

Conversation avec Arthur

Pourquoi la photo ?

Arthur, d’où vient ta passion pour la photo ?

Je pratique la photo depuis l’âge de quinze ans. En ce moment, en particulier, elle est un prétexte pour aller à l’extérieur capturer des instants en lien avec la nature.

Tu emprisonnes l’extérieur dans une photo.

J’aime capter des émotions, des intensités liées à la nature pour les retranscrire et les immortaliser. Elles deviennent de la photo abstraite, subjective. L’ensemble prend une dimension intemporelle. Le côté représentatif disparaît au service de l’émotion. L’intention est de se rappeler ce que l’on vit à l’extérieur.

Mélancholia

Habituellement la mélancolie revêt plutôt une connotation pessimiste.

Pas pour moi. Cette série, Mélancholia, procède entre fragilité et fertilité. La mélancolie est cet instant éphémère entre la grande tristesse et la joie. On en voit le côté triste ou bien on se dit que demain il y aura le bonheur.

L’instable est beaucoup plus riche que les certitudes monolithiques.

Cet instant mélancolique laisse à chacun la possibilité de l’interpréter à sa façon. Chacune des photos exposées traduit une interprétation différente de la mélancolie. J’aime faire de la photo pour capturer l’âme du vivant, l’âme de la nature.

On masque le grain. Tu le mets en relief.

Il apporte de la profondeur, de la texture. Il évite les aplats. Le grain, cependant, ne doit pas devenir la pièce. Il participe à la structure, crée une distance qui éloigne et rapproche à la fois. La mélancolie est justement un entre-deux.

Le noir des photographies pourrait correspondre à la bile, à la mélasse mélancolique, les gris jusqu’au blanc à la lumière d’un espoir.