Mylène Besson en son atelier

Mylène Besson en son atelier

30 septembre 2022 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Mylène Besson chez elle, dans son atelier. Lieu de travail, de mémoire, d’éclosion et parfois de doute. Toujours de curiosité, d’interrogation. [ Les portraits de Mylène Besson sont des photos de Gilles Camillieri]

Photos © Gilles Camillieri

Tout est lié, relié

Nous sommes pris entre ceux qui nous ont précédés et la vie à venir.

Le travail d’un artiste consiste à résister au temps ?

En tout cas à être habité. Maintenant que j’ai du recul sur mon parcours, je réalise que, depuis le début, les mêmes problématiques m’intéressent. Mettre en relation l’intime et le sociétal. Les choses les plus intimes me semblent totalement partagées. Elles nous traversent. Le rapport de nos corps autant à l’intime qu’à l’Histoire, à notre éducation, à notre culture, tout se joue dans la volonté de vivre debout.

La tête et les mains

Tes personnages sont toujours dans une attitude hiératique. Parfois ils semblent en lévitation. Représenter les corps permet de relier la matière et l’esprit.

Le corps est notre véhicule. Avec mes images je ne représente que des corps, d’ailleurs. Un coquillage est un corps. Représenter de l’abstraction passe toujours par la matière. Et j’ai les mains dedans, dans le noir, dans la peinture. Le corps est présent dans le faire, dans les rapports qu’on entretient avec l’extérieur. On ne connaît celui-ci que par nos sens. Mon travail, c’est ma tête et mes mains.

L’aventure

Tu as travaillé avec de grands poètes. Pour la plupart des gens, la poésie ce sont des mots. Ta poésie ne passe pas par des mots.

Je suis en quête d’une émotion que me renvoie le papier, la peinture. Mon travail ne doit pas me renvoyer qu’une image. Je dois dépasser ce niveau. Je suis à la quête de quelque chose sans savoir quoi. Mon travail est réussi quand le résultat me requestionne. Même si je sais que je ne peux pas aller plus loin dans une direction, ça me revoie à autre chose. Ailleurs.

Mais cet ailleurs est en toi.

C’est une aventure avec soi. C’est sûr. Le plus terrible est d’être confronté au rien de soi. Au vide. Vivre sans le faire m’écrase. Je suis submergée par tout ce qui arrive. Le travail me permet de m’emparer du quotidien, de m’y cogner. Tenter de ne pas subir. Nous n’existons pas enfermés dans notre corps. Nous sommes notre passé et aussi notre avenir. Nous vivons avec en nous toutes ces dimensions.

Un intime profond

Je me souviens de ces dessins de femmes vues de dessous. Comme des cartes d’identité très intimes montrant le sexe entre la plante des pieds. Et en même temps tu réalises de grandes fresques avec beaucoup de personnages.

Soi et les autres, oui. L’intime n’est pas la petite histoire. Nous nous y rejoignons. Nous existons dans cet entre-deux. Cet intime profond est plus intéressant à partager que nos petites histoires.

Autodidacte

Tu dis que tu es pratiquement autodidacte.

J’ai quitté l’école en troisième. Pour une école dans le style de Libres enfants de Summerhill. Dans le système scolaire, je ne comprenais plus ce que les profs me disaient. J’ai fait ce qu’on appellerait aujourd’hui une déprime scolaire. Seule, sans cours ni profs, je travaillais seule. Je me suis mise à lire, à rêver de faire les Beaux Arts. J’ai adoré Montaigne. Il dit « Je ». Ça m’a parlé. Ensuite Jean-Jacques Rousseau. On avait monté Antigone de Anouilh.

Les rencontres

Trois exemples d’auteurs ou de personnage qui existent fortement. Par l’affirmation de soi, par la révolte.

Je m’y suis retrouvée. J’ai passé mon bac en candidate libre et j’ai travaillé. Comme éducatrice. J’ai suivi une formation pour éducatrice en arts appliqués… pas jusqu’au bout. Une tournée de théâtre était possible avec des amis. La troupe est partie dans l’Océan Indien pendant deux mois. L’avion. Les Seychelles…à vingt-deux ans. Au retour des amis ouvraient un espace de danse et m’ont proposé d’y tenir un atelier de dessin pour enfants. Je m’occupe toujours de beaucoup de jeunes. Je leur conseille de suivre la voie « normale ». Tu y rencontres des gens au lieu d’être tout de suite dans le monde du travail. Mes rencontres, je les ai faites avec des gens très divers. Je n’avais aucune culture en Histoire de l’art.

En ouvrant des livres, je suis tombée amoureuse de peintres.

Des images inédites

Tu les as découverts par toi-même. On ne t’a pas dit «  Regarde, c’est un génie, c’est un chef d’œuvre ».

Je suis amoureuse des fresques. Celles de Pompéi en particulier. Celles de Lascaux sont fascinantes, elles aussi. Mais celles de Pompei racontent toute la mythologie. Le paganisme permettait une totale liberté. Les histoires des dieux permettaient de raconter celles des hommes. Pascal Quignard parle superbement des moments représentés. Tout le monde connaissait les histoires. Alors les Romains représentaient les moments précédant le drame. Plus tard, on a vraiment eu le « goût de la viande ». Comme cette Judith qui taille la gorge d’ Holopherne. Le sang gicle. Les images de Daech avec les têtes…on les a déjà vues ! Elles reviennent sans cesse. On te les balance comme ça !

Reprendre la main

Est-il encore possible de créer une image nouvelle ?

Comme Goethe, je pense que tout a été dit, fait. Il suffit de le repenser, de le redire à travers chacun. Anna Arendt dit qu’en arrivant au monde chacun a besoin d’être à l’origine de sa vie. Nous ne sommes qu’une conséquence d’un papa, d’une maman, d’une rencontre. La sociologie, la psychologie pourraient presque écrire nos vies à venir. Comment exister ? Il faut reprendre la main sur la vie.

En t’écoutant je pense au taoïsme.

Je cherche une sagesse. Mon métier est dur. Il me confronte à ma petitesse. À mes ambitions démesurées et à la petitesse de la vie, des choses qui me sont rendues. Il faut s’armer parce que c’est beaucoup d’heures que tu passes à ça. Parfois pour rien. Tout ça t’oblige à un travail. Plus les relations humaines, amoureuses… bouleversantes comme pour tous. La mort.

Ne pas subir

Ton travail te dégage du quotidien qui alourdit. On revient à cette élévation de tes personnages dont nous parlions.

Le quotidien ne nous alourdit pas. Il ne faut pas le subir mais se l’approprier. Les philosophies qui te renvoient au présent sont belles. Mais, le présent, il faut s’en emparer.Y être attentif sinon il t’échappe. L’espoir nourrit la curiosité nécessaire. J’ai découvert la philosophie de Spinoza. Il a cherché une philosophie pour être heureux. À  partager. Comment se débarrasser des passions tristes qui nous envahissent ? Tout ça travaille en même temps et donne des images dont je ne sais pas comment elles me viennent. Elles sont des surgissements. J’ai toujours peur qu’ils ne se produisent plus. J’ai besoin d’avoir peur. De risquer, de m’aventurer, d’essayer. Comme je vais y passer plusieurs mois, il faut que ce soit fort. Et en même temps, un rien peut me faire démarrer !

Faire avec ce que l’on a, être Mylène Besson

Tu as un chaudron où tout mijote et dont tu dois tirer une assiette qui soit bonne.

Je ne suis pas sûre que le chaudron lui-même soit bon. Mais c’est celui que j’ai. On regarde toujours chez les autres en pensant que c’est meilleur !

Dans ton chaudron et dans ta production la couleur a une place à part. Le chaudron, ou la marmite, ne sont pas toujours joyeux.

Il y a de tout. Ce n’est pas une question d’heureux ou pas heureux. Ce qui est certain, c’est que mon travail n’est pas décoratif. Alors que ça peut être nécessaire pour vivre chez soi avec une œuvre. Quelque chose de doux. Mon travail est un peu violent. J’ai du mal à le voir dans la mesure où il est difficile d’être dehors et dedans.

Incarner, animer, questionner

Tu es une personne « intranquille », pour rappeler un titre de Pessoa. Il n’y a par exemple par d’immobilité totale dans tes personnages.

Je recherche une incarnation, la présence, une animation. Même si ce n’est pas un vrai bougé, c’est habité. Ça fait partie du retour dont je parle. Mon travail questionne aussi notre relation aux règnes animal et végétal.

Et à nous-mêmes puisque nous sommes des animaux.

C’est juste.

La poésie

Puisque peu après cette rencontre l’Archipel Butor organise une exposition consacrée à Bernard Noël, nous abordons la collaboration avec celui-ci.

J’ai fait peu de livres avec Bernard. Michel Butor écrivait facilement, même s’il disait le contraire. Bernard expliquait que les poèmes jaillissaient comme la pluie. Ça venait d’un seul coup et il pleuvait sur la page. Il n’était poète qu’à ce moment-là. Ce qu’il reste d’une lecture poétique, c’est une émotion qui ouvre des choses en soi. Qui peut en apaiser d’autres. Tu es rempli de poésie qui change tes yeux. C’est ce que je trouve en ce moment en lisant le journal d’Alejandra Pizarnik. Elle dit des choses qui me transforment.

Être vraie, sans artifice (nue, en quelque sorte)

Tu passes un moment avec elle et avec toi.

Tu lis des choses qui te renvoient vraiment à toi, oui. C’est mon ambition. Seuls les autres peuvent me dire si j’en approche. Il arrive que des gens me revoient leurs émotions nées de mon travail. Mais ces retours ne modifient pas ma façon de faire. C’est d’ailleurs tout un effort de me débarrasser de ce qui ne viendrait pas de moi. La dextérité, les petits effets, il faut en permanence s’en défaire.

La conversation se poursuit avec cette vision taoïste de la vie. Celle-ci est un fleuve qui coule avant ta naissance. Si tu t’opposes au courant, tu t’épuises et disparais. Si tu suis le courant, tu n’existes pas. Si tu donnes quelques inflexions, tu peux trouver ton chemin.

«  Faire l’amour à la vie »

«  Être peintre, c’est être moi, c’est la même chose. Je vis, réfléchis avec la peinture. Les dessins, les peintures ne sont que ce qui apparaît. Au fond de moi, c’est tout un magma obscur que je tente d’articuler, de faire émerger. La peinture c’est ma surface (bien pauvre et maladroite). Cela influence ma vie en l’habitant. Ce sont mes émotions, mes réflexions, ce que je vois, entends, ressens, dédire ou refuse. Cela questionne mon rapport à l’autre, au monde, cela guide mon attitude dans cette société. Peindre, c’est être en chemin.

À quoi rêve un peintre ?

Faire l’amour à la vie. »

    REGARD  Mylène Besson  Petite revue d’art, par Marie Morel.