Orthodoxie G. K. Chesterton 1908

Orthodoxie G. K. Chesterton 1908

19 juin 2023 Non Par Paul Rassat

Voici de très courts extraits du livre de G.K. Chesterton, Orthodoxie, qui date de 1908. Depuis, du Coca-Cola a coulé sous des ponts de hamburgers, créant des embarras neurono-gastriques. Le propos de l’auteur est toujours d’actualité.

Un monde presque raisonnable

« L’ennui avec notre monde n’est pas qu’il soit déraisonnable, ni même raisonnable. C’est qu’il soit presque raisonnable, mais pas tout à fait. La vie n’est pas illogique ; cependant elle est un piège pour logiciens. Elle a l’air un peu plus mathématique et normale qu’elle ne l’est ; son exactitude est évidente, mais son inexactitude est cachée ; son extravagance est latente…Une pomme ou une orange est suffisamment ronde pour être appelée ronde et, pourtant, elle n’est pas ronde. La terre, elle-même, est en forme d’orange pour inciter l’astronome naïf à l’appeler globe. Une feuille lancéolée est ainsi appelée parce qu’elle ressemble à une lance et se termine en pointe, mais il n’en est rien. En toute chose, partout, nous retrouvons cet élément d’insaisissable, d’incalculable. Il échappe aux rationalistes, mais il ne leur échappe qu’au dernier moment…En fait la perspicacité ou l’inspiration se jugent à la détection de ces malformations cachées ou de ces surprises… »

Raisonnable, j’ai dit « raisonnable » ?

Cette presquitude du monde est à rapprocher de ce qu’écrit Albert Camus*, cité par Denis Grozdanovitch dans La gloire des petites choses. «  Je disais que le monde est absurde et j’allais trop vite : le monde en lui-même n’est pas raisonnable, c’est tout ce qu’on peut dire. Mais ce qui est absurde c’est la confrontation de cet irrationnel et du désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au plus profond de l’homme. L’absurde dépend autant de l’homme que du monde. » Le mythe de Sisyphe

* Albert et non Renaud Camus, ne pas confondre.

Les facilités de l’approximation

« Il est très difficile à un homme de défendre ce dont il est totalement convaincu. Il lui est relativement plus facile de défendre ce dont il n’est que partiellement convaincu. S’il n’est que partiellement convaincu, c’est qu’il a trouvé telle ou telle preuve à l’appui et peut donc l’exposer. Mais un homme n’est pas réellement convaincu de la valeur d’une théorie lorsqu’il découvre que quelque chose la prouve. Il n’est réellement convaincu que lorsqu’il découvre que chaque chose la prouve. Et plus il trouvera de raisons convergeant sur cette conviction, plus il sera déconcerté si on l’invite à brûle-pourpoint à les résumer. Si, par exemple, sous l’inspiration du moment, quelqu’un demande à un homme d’intelligence moyenne : « Pourquoi préférez-vous la civilisation à l’état sauvage ? », il promènera un regard désemparé d’un objet à l’autre et ne fournira qu’une réponse vague : « Eh bien, à cause de cette bibliothèque… et du charbon dans le seau à charbon…, et des pianos… et des agents de police.»

La paresse de la pensée et du langage

 « La machinerie du langage moderne est, avant tout, une machinerie à économiser le travail. Elle économise le travail mental beaucoup plus qu’elle ne le devrait. Les expressions scientifiques sont autant de rouages et mécanismes pour aplanir la voie du confortable. Les mots composés nous martèlent les oreilles comme autant de trains traînés sur leurs rails. Nous savons qu’ils emportent des milliers de personnes trop lasses ou trop indolentes pour marcher ou penser par elles-mêmes ». Talpa faisait récemment référence à Paul Valéry. À bien le lire, la notion de même est une illusion, une facilité de l’esprit née de la négligence. Paresse de l’esprit et besoin de se rassurer en agglomérant au lieu de partir à la découverte du dissemblable, du particulier, de l’hapax. Si l’intelligence consiste étymologiquement à tisser des liens, ce n’est pas pour fabriquer un beau tapis où se vautrer, mais pour inventer des feux d’artifices.

PS

La lecture de G.K. Chesterton vient d’une rencontre avec Louis Pernat.