Ricardo Ponce, artiste peintre et drôle de poisson

Ricardo Ponce, artiste peintre et drôle de poisson

25 mars 2022 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Ricardo Ponce qui expose à La Cour de l’Abbaye / Fondation Christian Réal pendant que se déroule le festival des Images hispano américaines à Annecy. Avec Ricardo la conversation a commencé sans qu’on s’en rende compte. Naturellement. Comme le tutoiement.

La Cour de l’Abbaye, 15 chemin de l’Abbaye, Annecy-le-Vieux, jusqu’au 2 avril 2022. Entrée libre 13/18 heures.

Parler, créer, déceler

— Moi, j’ai confiance en tout. En l’instant. Comme tu sens les choses. Je ne fais pas que peindre ou produire de la céramique. Je passe ma vie à parler. D’autant plus que j’ai créé un atelier où je donne des cours depuis vingt ans. J’apprends beaucoup de mes élèves. J’espère qu’ils apprennent quelque chose avec moi. Il y a la technique mais je pense être plus fort pour dire «  Prends par là. Je vois ta personnalité, ça te correspond. C’est ton chemin personnel. »

Métissage, syncrétisme

Ton chemin à toi passe par les totems à ce qu’on voit dans ton travail.

Je m’inspire beaucoup des arts premiers. Le cubisme et le fauvisme se sont d’ailleurs beaucoup inspirés des arts premiers. J’ai grandi à Cuba. Dans le métissage, le syncrétisme, dans le mélange des Espagnols et des Africains. On a obligé ces derniers à croire en la religion catholique. Tu vois, dans ce tableau, la femme est habillée en bleu, alors on va dire que c’est la Vierge. Moi, j’y vois plutôt la Yemaya, la déesse de la mer.

Je déroule un journal intime

D’où cette richesse, cette profusion et cette énergie dans tes œuvres.

C’est un langage symbolique, métis. Beaucoup de Noirs venaient du royaume de Yoruba dont la culture était aussi riche que celle de l’empire romain ou de la Grèce. Ils avaient leur religion, leur mythologie. J’ai repris très naturellement leurs symboles au fil du temps. Mon travail ressemble à un journal intime qui s’inspire de mes rencontres.

Que tu vives en France…

A aussi influencé mon travail. J’avais déjà passé des années à trouver un style personnel En 98 je suis venu en France pour la première fois. J’ai eu la chance d’exposer alors pendant le Festival de Cannes, au Musée de la mer.

En parlant de moi, je parle de ma culture

Les arts premiers, les symboles peuvent toucher tout public.

Et puis c’est un langage sincère : je parle de moi en tant que métis, Cubain. Ponce est un nom d’origine française, qui est passé en Espagne. L’un des grands conquistadors qui a tué des milliers d’Indiens, était l’un de mes ancêtres ! Il a fini sa vie à Cuba. L’un de mes grands pères était Chinois. Tout se retrouve dans ma peinture. En parlant de moi, je parle de ma culture, de mes racines, et aussi de la France. L’une de mes séries s’appelle « Journal intime de solitude ». Un petit hommage à Garcia Marquez. Je me sentais seul en France quand je suis arrivé. Entre deux cultures. Un métis est toujours partagé. Un jour j’ai demandé à un ami, prêtre dans la religion Yoruba pourquoi je peins autant d’  « orisha ». (Ce sont des demi-dieux humains, personnification de la nature). Sa réponse « Tu es né ici », pas besoin d’être Noir.

De la couleur au noir et blanc

Sur tes toiles le jeu des couleurs est magnifique. Pourquoi une série en noir et blanc ?

On sort du confinement, de deux ans de crise sanitaire. C’est la deuxième fois que je suis confronté à une crise qui m’affecte directement. La première fois en France. Je suis un artiste, avec ses couleurs, ses toiles…mais je dois nourrir ma famille. Pendant cette crise, j’ai vécu une crise très importante de mon activité. Je n’avais plus de contacts avec des clients. Je ne pouvais même plus aller à mon atelier parce qu’il est en même temps une boutique, une galerie. J’ai l’habitude de voir du monde, de parler, de donner des cours. La situation a donc été très difficile.

« La tête du guerrier »

Je me suis souvenu d’un projet sur lequel je n’avais pas pu travailler sauf sous forme d’esquisses. Il s’appelle « La tête du guerrier ». J’ai eu le temps de le réaliser en travaillant chez moi. Mon guerrier est vaincu par une femme. Tu vois ici Judith et Holopherne. Pourquoi il a perdu la tête ? Pourquoi pour une femme ? Les gens me disent « La décapitation, le terrorisme… ». Rien à voir !

Le travail comme thérapie

En découvrant cette série et avant que tu m’en parles, je m’étais dit « C’est une tragédie joyeuse. »

Cette tragédie m’a fait progresser. Les esquisses sont de 96. J’ai réalisé le travail en 2020/21. Il a été comme un deuil, une thérapie. Je suis un coloriste, mais là, je n’avais pas besoin de couleur. J’avais besoin d’exprimer des idées. Tout a commencé et a été possible parce que j’étais tout seul.

[Une conversation avec Ricardo est un véritable tourbillon. On passe de la tête coupée aux feutres acryliques et à la technique. L’élan et l’exubérance qui se dégagent de ses toiles, la force aussi, se retrouvent dans toute la personne]

Les gens achètent plus facilement de la couleur que des têtes coupées ! Et pourtant ils ont très bien réagi lors de l’exposition organisée à Valence.

Paysages, poissons, Cuba

On repasse à la couleur. Les yeux que tu peins sont de la mer.

Toujours. Un copain m’a dit « Tes personnages, on dirait qu’ils sont dans la mer ». À l’intérieur de mes personnages il y a des paysages.

On voit des poissons un peu partout. Qu’est-ce qu’ils représentent ?

Je viens de Cuba, une île. Tu vois, ce poisson, je l’ai mis sur roulettes. Même les poissons veulent se barrer de Cuba, ce paradis tropical. J’habitais en bord de mer, un quartier de pêcheurs. Ils n’avaient même pas à manger ! Pas de poissons à pêcher ! Ils voulaient partir ! Le logo de mon atelier est un poisson qui veut manger une goutte. Une goutte de Ricardo.  

L’illumination             

Mais les poissons renvoient aussi à Jésus. C’est quelqu’un qui me l’a appris. J’adore cette référence, ce symbole. Je suis un illuminé. Un fou ou un illuminé inspiré. On revient au métissage qui inclut la folie. Dans cette île idyllique les gens n’ont rien à manger, ils sont mal logés. Ils sont préparés pour manger le monde et ne peuvent pas se nourrir. D’où ces poissons qui les mangent.

[Le métissage, c’est aussi cette manière de penser et de s’exprimer qui associe l’humour aux pensées les plus profondes, l’expression en français qui fait vibrer des couleurs d’ailleurs]