Sons

Sons

11 février 2023 Non Par Paul Rassat

«  Le paysage sonore du monde est en train de changer ». C’est ce qu’ écrivait le compositeur Murray Schafer en 1977. Il analysait le développement de la « pollution sonore », cette « croissance indiscriminée et impérialiste de sons plus nombreux et plus forts jusque dans les moindres recoins de la vie humaine ». Moins d’un demi-siècle plus tard, le paysage sonore vit une nouvelle mutation. L’expansion des sons se poursuit, mais ils se veulent maintenant soigneusement contrôlés, calibrés, cloisonnés. Est-ce un progrès ? C’est à nous-mêmes, à nos déplacements et à notre imaginaire que ce contrôle, ce calibrage, ce cloisonnement entendent s’appliquer. Ranger les sons, ici, c’est ranger le vivant. C’est faire qu’il n’y ait plus d’imprévu, de métissage, de gratuité. C’est employer le son pour masquer le réel et pour le contenir, que rien ne déborde du cadre…. »

Le son comme arme

Il n’est pas inintéressant de noter que le passage ci-dessus est tiré d’un livre de Juliette Volcler intitulé Le son comme arme, Les usages policiers et militaires du son. On pourrait y ajouter la dimension commerciale. La musique qui, dans les magasins, donne le rythme des déplacements afin que les clients n’aillent pas trop vite. N’oublions pas l’habillage musical sans lequel les grands titres des informations attireraient moins l’attention des auditeurs ou des spectateurs. C’est alors que la musique devient du son (presque de celui qu’on donne aux ânes). Le son dégringole en bruit. «  Faites du bruit » incite l’animateur s’adressant au public qu’il encourage à applaudir.

Servitude volontaire

Nous avons eu l’expérience de la vie sans son inutile, sans habillage musical, sans ambiance sonore polluante lors des récents confinements. La « vie » a repris ses droits. La Boétie dénonce notre lâcheté politique dans Discours de la servitude volontaire. Notre asservissement au son est-il du même ordre ? Musique de fond ( à tous les sens du terme) dans les restaurants, dans les magasins, à chaque « événement », pendant les manifestations sportives. Notre cerveau est-il tellement creux qu’il  lui faille en permanence une perfusion sonore pour le maintenir dans un semblant de vie ?

Factorisette ?

Le son masquerait donc le réel. Quel « joggeur », quel cycliste n’a pas sa musique embarquée dans ses haut parleurs privés ou bien dont il fait profiter tout l’environnement ? Ne parlons pas des conducteurs de voitures. Le son et les mots se rejoignent dans une acculturation. Le premier nous coupe de la nature. Les seconds nous coupent du sens. Vu ce matin une station de lavage pour automobiles autoproclamée «  Aqua Factory » Fonctionnant vraisemblablement à l’eau bénite.