Téo Lavabo, au-delà des apparences

Téo Lavabo, au-delà des apparences

25 avril 2022 Non Par Paul Rassat

La rencontre avec Téo Lavabo a lieu chez Pen. Il y a ses entrées et l’ambiance est simple, chaleureuse. Conditions idéales pour discuter librement et cheminer sans bride. C’est Téo- Téo Lavabo-Téo Jaffre de qui les propos ouvrent l’article. Trois Téo pour un seul.

Limite, border line : pour voir

Tu me dis que tu es intéressé par ce qui est à la limite. Pas par la provocation mais une avancée pour tester les limites. Je passe souvent pour l’exception qu’on apprécie, comme certains disent « J’aime pas les noirs, mais toi je t’aime bien. » Je suis l’équivalent pour les homosexuels.

Pour voir, et pour être soi

Parce que tu ne revendiques rien et que tu apportes de la fantaisie et de la bonne humeur.

Je dis simplement « Je suis. Vous prenez ou vous ne prenez pas. » Je suis une exception mais pas l’unique exception. Et à force d’en voir, les exceptions n’en seront plus.

Puisque tu «dis « Je suis… » C’est au-delà même de l’homosexualité. C’est être pleinement soi-même, femme, homme, noir, blanc, etc.

On me dit que mes chansons sont gays, LGBT. Quand Michaël Youn chante « J’aime trop ton boule », personne ne dit que c’est une chanson LGBT parce qu’il n’est pas gay. C’est une chanson au second degré.

D’un Téo à l’autre et inversement

Tu te donnes en représentation. Il y a une part de toi et aussi un personnage que tu construis.

Il y a un clic qui me fait passer de Téo à Téo Lavabo. Mais ce n’est pas « on », « off » au fil de la soirée. J’ai fait des photos d’escort girls en maison close pendant deux ans. Une nana fume sa clope, elle discute avec moi parce que je photographie sa copine. Et puis ding dong « Pff, il faut que j’y retourne ! » Elle enlève son pull, se met droite, et elle repart. Elle reprend un rôle mais si elle arrive à dépasser le personnage…en fait, quand j’arrive à passer le personnage, je deviens moi. Mon personnage n’a pas d’avis, il ne parle que de lui. Il n’a aucune expérience pour parler d’amour, d’études. Il n’a que deux ans.

Les frontières (poreuses)

Avec les enfants, c’est toujours Téo Lavabo qui parle. C’est moi, souriant, à l’écoute, qui réponds toujours aux mêmes questions. «  C’est comment dans les émissions télé ? ». Je fais la photo, je souris. Ça s’arrête là. Les gens ont peur de déranger. Si je vais en boîte seul, les gens savent ou apprennent qui je suis. Ils viennent me dire « J’adore ce que tu fais », et ils s’en vont ou demandent à faire une photo. Tu viens seul et tu repars seul ! Les vraies discussions sont rares. Comme avec cet enfant Asperger qui me dit «  J’ai compris que tu es homosexuel à tes gestes. » Je lui réponds que sa particularité est d’être Asperger, la mienne d’être homosexuel. Là, je ne suis plus Téo Lavabo.

Téo Jaffre, Téo Lavabo, entre les deux

Téo Lavabo analyse Téo Jaffre et Téo Jaffre analyse Téo Lavabo.

Tu es schizo ! (rires)

Chez moi, je suis Téo. Les questions, je me les pose quand je suis en public. Si on passe ma musique, je ne sais pas comment réagir. Le costume aide heureusement Téo Lavabo à être son personnage.

L’écrivain Fernando Pessoa s’était créé des personnalités différentes, des hétéronymes. Crée encore des personnages !

Je suis déjà Téo photographe, qui rigole pas. Travail et rigueur d’abord ! Jusqu’au soupir de la fin de séance et de nouveau le sourire. Téo Lavabo sourit, Téo le fait moins. Il est normal.

L’envie de communiquer vraiment

D’où sont venus l’idée et le besoin de te mettre en scène ?

Passion première, la communication. Toujours cette envie d’un projet qui va faire exploser quelqu’un, une marque. On me contacte pour ça et ensuite on n’assume pas ce que je propose. «  Que vont dire les gens ? » Je pense que pour faire parler de soi, même l’incompréhension est efficace. D’autant plus que mes idées sont toujours bienveillantes. Cette résistance des commanditaires est frustrante. Je me retrouvais à faire des trucs ultra classiques.  

Le déclic

Le déclic a été ce moment où nous devions tester un nouveau matériel, un stabilisateur. Nous faisions déjà des parodies, des clips pour nous amuser. Le type que nous devions filmer à vélo n’est pas disponible. Je me déguise, je me mets en selle, mon copain me filme. Le résultat n’est pas catégorisable, ce que j’adore. Les commentaires partaient dans tous les sens parce que le clip était inclassable. Je me demande alors si j’assume ce personnage qui suscite autant de réactions. Je demande son avis à mon ami Pierre Emilio parce que  je suis à la fois le réalisateur et la « chose » du clip.

« J’aime ce qui m’intrigue »

Maintenant, je vis ça différemment. Si je suis invité à la télé pour une émission sur le sport, je porte un short de sport avec autre chose qui n’a rien à voir. Je ne veux pas être réduit à une lecture trop simple et réductrice. Ces gants, par exemple, ils font motard. Mais avec les diamants, le côté fluo ils échappent à cette catégorie. Surtout que je portais des babouches crocodile blanc avec des fils roses qui en sortaient, et un short à fleurs. J’aime ce qui m’intrigue et me fascine. Je reviens à la vidéo dont je parlais. Si elle n’a pas fait le buzz (5000 vues) elle nous a ramené des clients. L’un d’eux nous a contactés de Paris. Il a été séduit par l’esprit de créativité et nous a fait confiance pour lui réaliser quelque chose de complètement différent.

D’abord l’esprit de liberté

Puisque je parle d’esprit, on se fiche de savoir qui est montré dans le clip. Ça m’a libéré pour en faire d’autres me mettant en scène. Mais le résultat n’appartenait à personne. Je faisais du play back alors que je voulais être un personnage à part entière. J’en avais marre de faire le pingouin et j’avais envie de chanter. Je voulais m’enregistrer avec mon IPhone. Je serais la Petite Sirène qui dit « J’en ai marre de l’apérosé avec ces bourgeasses qui bronzent. De voir ces mecs qui font leur balade au bord du lac avec leur sac Lonchamp. Je veux être une sirène avec des jambes pour porter des Crocs et aller boire des coups chez Pen et dans tous les endroits populaires d’Annecy. »

Encore une histoire de déclic mais pas encore de Téo Lavabo

Le déclic est venu de l’assèchement du lac d’Annecy. C’était maintenant où jamais. Tout le monde parlait du lac ! En parallèle beaucoup, grâce à mon art visuel, s’approchaient de moi pour me proposer des collaborations musicales, de chant. On a réalisé « La sirène du lac » mais je n’étais pas encore Téo Lavabo. Je ne savais pas chanter. Mes potes m’ont lâché parce qu’ils ne voulaient pas passer à la télé. J’ai pourtant adapté le clip pour « Un incroyable talent ». Un studio que je connaissais m’a fait « Comme Aladin » Il me fallait une voix. Je savais faire genre Renaud, Pascal Obispo (démonstrations de chant à l’appui), Claude François.

Trouver sa voix pour transmettre des émotions vraies

Plein de voix, mais pas la tienne.

On m’a dit « Il faut que tu chantes avec ta voix. » Alors je chante, mais en demandant un maximum d’effets. Je triche ! J’envoie le truc à « Un immense talent ». La prod trouve ça génial. Et je me retrouve à vendre une imposture. Il me restait six mois pour travailler ma voix. Mes amis me rassurent. Je chante suffisamment bien ! Ils oubliaient l’aide d’Auto-Tune. Avec « Un incroyable talent », je ne pouvais plus me contenter d’être le mec lambda qui a un petit don. Ce qui compte profondément pour moi, dans tous les domaines de la vie, c’est l’émotion que tu fais passer et qui crée du souvenir.

Être multiple pour être vrai

Ne pas être faux mais exigeant. Ne pas accepter l’enfermement dans une seule case. Une forme d’arborescence.

Pour l’arborescence, je n’en suis pas encore aux fleurs. Il m’a fallu trouver un pseudo qui aide au référencement sans prêter à confusion avec mon métier de photographe. Mon grand père me chantait le tube de Vincent Lagaf’. Comme lui, je suis un amuseur. Je fais des chansons pour les adultes mais pensées pour les enfants.

L’arborescence

[ Une conversation avec Téo est une vraie conversation. Elle est prolifique, joue d’une anecdote, d’un souvenir, d’un détail pour dévier, partir ailleurs de façon très naturelle. Les pensées s’enchaînent. Leur cohérence est la sincérité, la qualité de la communication. On n’  « échange pas », on est vrai ! Ce qui nous renvoie à l’arborescence évoquée plus haut].

Le temps, la mémoire, les émotions qui filent…

Pour « Un incroyable talent », je me filmais tous les jours au cas où le projet pèterait et pour répondre éventuellement à la question « Dans quel move t’étais ? » Quand on me pose des questions, je raconte ce que me dit ma mémoire, mais j’ai l’impression de mentir.

[Être juste, être vrai, ne pas déformer, retenir le temps, ne pas perdre sa mémoire, autant d’exigences et de peurs qui donnent plus de prix à la recherche de liberté créatrice.]

J’écris ce que je vis, de peur que ma mémoire l’oublie. J’ai vécu déjà tant de frissons que j’ai peur de ne plus pouvoir les revivre. J’ai peur d’oublier ma vie !

Encore des portes à ouvrir

J’ai à ma disposition des outils intéressants. À moi de voir ce que je veux en faire. Je me sens moins seul. Je peux avoir un soutien si j’en ai besoin. Il me reste des portes à ouvrir !