Tokyo Mystery Café
30 janvier 2024Rencontre chez BD Fugue Annecy avec les deux auteurs -L’atelier Sentô- du premier volume de la série Tokyo Mystery Café. La disparue d’Akiba est le titre de cet album. Le dessin vif, enlevé, le mouvement caractérisent cette BD. Nous parlons avec les auteurs de leur amour pour le Japon qui inspire leur travail.
Pourquoi le Japon ?
Il y a une vague d’intérêt pour le Japon de nos jours, mais il y avait déjà eu une première vague au moment des Impressionnistes, accompagnée au Japon d’une francophilie. Ce mouvement qui s’exerçait dans les deux sens se renouvelle aujourd’hui. C’était pour les antiquités, le côté esthétique, artistique. Maintenant c’est davantage pour le cinéma, l’animation, la littérature populaire.
La relation à l’image est particulière au Japon.
Il y a des dessins partout. Les publicités réalisées avec des photos en France sont des dessins au Japon. Il y a une énorme inspiration occidentale actuellement, dans les mangas, dans la peinture. Même dans les peintures traditionnelles, les thématiques sont très occidentales. Nous adorons la première époque d’échanges franco-japonais avec Pierre Loti, par exemple. Nous aimons revivre à notre époque ce partage avec une culture qui se trouve à l’autre bout du monde pour créer des choses ensemble. Cela permet de créer de nouvelles formes qui résultent d’un mix entre les deux, d’un dialogue amical et beau.
Le prétexte de l’enquête, que vous adoptez, et l’introduction d’un étranger dans la société japonaise, donnent un regard nouveau, naïf.
Notre précédente BD était entièrement japonaise. Elle se situait à la campagne, était inspirée par les traditions japonaises. Pour celle-ci, qui est née pendant le confinement, nous avons eu l’idée d’une redécouverte, comme si c’était la première fois. Nous avions vraiment envie de redécouvrir le Japon d’après COVID d’un œil différent. Notre héros est donc un peu nous-mêmes, il est né aussi de rencontres avec des jeunes qui viennent en dédicace. Ils apportent leurs carnets de croquis et nous confient qu’ils aimeraient aller au Japon pour y devenir mangakas.
Ce que nous réalisions avant était tourné vers les traditions et s’adressait plutôt à des gens déjà passionnés par le pays . Avec ce nouvel axe, nous avons envie de toucher et d’accompagner tout type de lecteurs, de tous âges. Ce sont des histoires de gens qui sont un peu en marge de la société et qui composent une « famille » improbable susceptible de parler à tout le monde.
Il y a, bien sûr, la découverte du Japon, mais les pages qui sont consacrées au robot comportent une réflexion sur l’identité, sur les relations entre humains et robots…
En réalité, la technologie est plus avancée que les histoires qu’on raconte. Les robots existent vraiment au Japon alors qu’on les considère comme faisant partie de la science-fiction. Tout ce que nous montrons dans la BD est actuellement possible. Mais rencontrer un robot humanoïde est extrêmement inconfortable. Ce sont des mannequins de cire qui bougent légèrement le regard. Les dialogues sont encore formatés. Nous avons été inspirés, en réalité, par la lecture de Klara et le soleil du prix Nobel Kazuo Ishiguro. Nous avions déjà l’idée, mais cette lecture nous a confortés dans cette voie. Il s’agit d’une robot humanoïde et l’auteur a adopté un point de vue interne au robot. L’intérêt de ces robots imparfaits et de leurs défaillances, c’est qu’ils nous renvoient à nos propres défaillances humaines et à notre condition. Nous sommes aussi à un moment charnière puisque l’industrie états-unienne a fait main basse sur toute la créativité écrite et visuelle pour nourrir l’intelligence artificielle. Ceci crée des conflits.
Le Japon est empreint de tradition, pourquoi se tourne-t-il vers cette modernité ?
On ne peut pas vraiment parler de tradition. Les Japonais vivent dans le présent. Leur folklore est vivant et se renouvelle. Chaque année de nouveaux festivals apparaissent dans les petits villages, adaptés à notre époque. C’est ce qui fait que le folklore peut côtoyer la science-fiction et la technologie moderne. Pour nous occidentaux, cette manière d’être dans l’immédiat est fascinante. Elle est une manière de vivre le présent sous toutes ses formes qui cohabitent sans avoir à être cataloguées.
C’est très agréable : nous pouvons, en traitant le présent, aborder une multitude de sujets et naviguer à la frontière de chacun. Le tout peut prendre une couleur fantastique particulière au Japon.
L’enquête de votre album est le prétexte et le fil conducteur pour que se rencontrent ces univers différents et les personnages qui les incarnent.
Un prétexte aussi pour traiter du lieu puisque l’idée de cette série est que chaque tome se passe dans un quartier spécifique de Tokyo. L’enquête nous permet de parler des thèmes propres à chaque quartier, de son histoire, de son évolution.
La conversation roule sur les albums précédents, la photographie, les cyanotypes et les fantômes, l’art contemporain, jusqu’à une question très naïve.
Cette façon dont les Japonais vivent le présent est-elle liée aux séismes récurrents, aux catastrophes naturelles ?
C’est ce que disent les Japonais, oui. Un village peut être balayé du jour au lendemain. L’humidité, aussi, fait que les bâtiments dépérissent très vite. Leur durée de vie est de cinquante ans. Les téléphones sont équipés d’un système d’alarme qui les prévient en amont d’un séisme. Quelques secondes avant. Les fausses alarmes, envoyées par erreur, sont fréquentes.
Et pour terminer cette rencontre, on imagine une demande en mariage interrompue par une alerte, ce qui permettrait de se coucher l’un sur l’autre pour se protéger !