Bol, en avoir.
12 août 2023Voici ce que le dictionnaire dit du bol. « MINÉR. Terre argileuse contenant de l’oxyde de fer qui lui donne une coloration rouge. Empr. au b. lat. « boulette » empr. au gr. « motte de terre ».
Pièce de vaisselle de forme généralement hémisphérique servant à prendre certaines boisson Empr. à l’angl. Bowls sous la forme bolle. »
La matière, le contenant et le contenu
Le bol est à la fois la terre, la matière, l’objet et le contenu de cet objet. Quel raccourci ! Encore plus significatif et dense que le mot terrine qui désigne le récipient et l’assemblage charcutier mais pas la matière. Le bol réunit, il unit, il rassemble et fond. Quoi de plus synthétique ?
Une communion
Voici ce qu’en dit Jean Girel dans La sagesse du potier. « Je ne conçois pas de création au tour qui n’ait au moins la mémoire d’une fonction. J’aime le bol qui matérialise l’ancien geste des deux mains jointes en demi-sphère pour recueillir l’eau. En le portant à ses lèvres, les mains, les coudes sont symétriques, le regard plonge lentement à l’intérieur lorsque le bol s’incline sur l’axe de la lèvre inférieure pour offrir son contenu. Boire dans un bol est une communion. La tasse, tenue par l’anse entre pouce et index, qui permet au petit doigt de se relever avec distinction et laisse une main libre pour accompagner la conversation, est une mondaine. Le bol est monacal, il peut aussi être royal. »
De la terre…
L’argile qui forme les bols est de la terre glaise. Et la terre est aussi bien notre planète, le milieu dans lequel nous vivons que la surface qui nous porte et que nous cultivons. Sans oublier que, dans certaines cosmogonies l’Homme lui-même serait né de la terre. Le bol démultiplie toutes les relations, les croise en un objet qui résulte de la technique en y associant la mémoire. Les objets que nous produisons en grande quantité privilégient la fonction mais sont dépourvus de mémoire. Boire à et dans un bol, c’est métaphoriquement boire en soi.
Exsuder
La vie elle-même est vraisemblablement une exsudation. Paul Valéry parle de suintement à propos de la création. Une nécessité qui s’exprime (au sens littéral) comme un coquillage exsude sa coquille. Jean Girel cite André Leroi-Gourhan, Le Geste et la Parole. « Leroi-Gourhan, qui a longuement réfléchi sur l’homme et ses outils souligne : « Il semble les avoir acquis non pas par une sorte d’éclair génial qui lui aurait fait un jour saisir un caillou coupant pour armer son poing (hypothèse puérile mais favorite des ouvrages de vulgarisation) mais comme si son cerveau et son corps les exsudaient progressivement. » L’exsudation, l’émanation demeurent reliées à ce qui les produit, comme l’Homme devrait l’être à la terre. Il est lui-même un bol.