Croquez ! la BD met les pieds dans le plat

Croquez ! la BD met les pieds dans le plat

24 janvier 2024 Non Par Paul Rassat

La prochaine exposition annuelle de la Cité Internationale de la Bande Dessinée d’Angoulême mettra à l’honneur la nourriture et la gastronomie. Mathieu Charrier nous met l’eau à la bouche : Croquez ! la BD met les pieds dans le plat a déjà servi un avant-goût à Radio France et tiendra un troisième service à Dijon.

Au fond, vous proposez une exposition en trois services. Une entrée à Radio France, le plat à Angoulême et le dessert à Dijon.

On peut dire ça !

La gastronomie est toujours d’actualité, encore plus après le confinement et la nécessité de convivialité.

Un nouveau directeur est arrivé à la Cité de la bande dessinée il y a mainteant un an et demi. Il a la volonté d’ancrer nos expositions dans le réel, dans la société. Il y a évidemment des expos patrimoniales et iconographiques, l’une sur François Bourgeon en ce moment, une autre sur le journal de Tintin. L’exposition annuelle est ancrée, elle , dans son époque. Celle de 2023,  Rock ! Pop ! Wizz ! rapprochait la BD et la musique. En nous mettant autour d’une table pour y réfléchir, nous avons pensé que la BD et la nourriture s’inscrivaient naturellement dans cette volonté d’ancrage.

À travailler l’idée en se plongeant dans nos souvenirs, dans les livres, on se rend compte que les deux sont très proches depuis les débuts de la bande dessinée. Aujourd’hui énormément de BD traitent très directement de ce thème, comme La cuisine des chefs, ou bien elles montrent comment la nourriture contribue à définir un personnage.

La cuisine fédère toute la société.

Exactement. Je travaille en ce moment sur la thématique du vin, qui est associée à notre prochaine exposition et à un cycle de rencontres. Il est amusant de constater qu’au moment où la bande dessinée commence à traiter du vin au sens large, avec Étienne Davodeau et d’autres, les vignerons commencent à s’interroger sur ce qu’ils produisent, les vins bios plus respectueux de l’environnement. Et puis les albums racontent aussi l’histoire d’un terroir, d’un vigneron. La biodynamie avec Richard Leroy, Fleur Godart et Justine Saint-Lô poursuivent la démarche, comme Jacques Fernandez et Yves Camdeborde avec Frères de Terroirs. Lorsqu’il est question de vins plus tarditionnels, comme dans la série Châteaux Bordeaux, le vin n’est plus le cœur de l’histoire mais plutôt une toile de fond pour un polar. C’est assez révélateur de la façon dont la bande dessinée raconte une époque, la société.

En travaillant à l’exposition, j’ai découvert que Popeye, à sa création, est soutenu par le gouvernement américain pour promouvoir la consommation de fruits et légumes, et plus tard les épinards. On peut parler de Tintin, du capitaine Haddock et de son penchant pour l’alcool. Certains spécialistes pensent que ça cacherait une forme d’alcoolisme d’Hergé, d’autres soulignent, au contraire, que ce serait une dénonciation de l’alcool et de ses méfaits. Mafalda et son aversion pour la soupe sont une dénonciation de la dictature militaire.Une métaphore.

Vous testez toutes les recettes exposées ? ( rires)

Heureusement non. Ça permet d’échapper à la morue à la fraise de Gaston Lagaffe. Mais l’exposition sera l’occasion de faire déguster des vins, de parler des vignerons et d’échanger avec eux et avec des autrices ou auteurs. Quand on fait le portrait d’un vigneron, il est important de goûter son vin.

Il y a quelques jours, des autrices sont venues nous parler d’une BD sur le parfum et de Germaine Cellier. Nous avons fait sentir au public les créations de celle-ci. Il est essentiel de faire le lien entre ce qu’on lit, ce qu’on sent, ce qu’on goûte. Il y a quelques années, la couverture du Journal de Spirou montrait un poulet dessiné par Mathieu Burniat. Le lecteur était invité à gratter le poulet dont se dégageait alors une odeur de fraise ! Le but était de montrer à quel point notre cerveau est déboussolé quand ce qu’il sent ne correspond pas à ce qu’il voit.

Le but de notre exposition est de solliciter tous les sens du visiteur.

On peut imaginer des visites en familles qui vont donner des discussions intéressantes.

D’autant plus qu’il y a au début de l’exposition tous ces personnages, comme Obélix, qui parlent aux enfants. La BD jeunesse trouve aussi sa place dans le parcours, avec, par exemple, la série de Nob, La cantoche, ou bien Magda, cuisinière intergalactique, Yasmina…Nous montrons des planches originales. Les jeux et l’interactivité enrichissent l’approche, avec de la video, du son pour que les enfants puissent être pleinement intégrés dans l’expo.

Nous retrouvons la démarche des expos d’il y a trente ans, au début de la Cité. La scénographie y prenait une grande place. C’était d’autant plus important, à l’époque, que la BD ne revêtait pas le chic d’aujourd’hui. Elle n’était pas exposée dans les galeries d’art, qui ont plutôt tendance à la montrer comme un tableau classique. Certaines planches de BD, effectivement, se prêtent à cette approche. Nous avons des aquarelles de Jacques Fernandez qui peuvent être montrées comme des tableaux. Pour les autres, une scénographie immersive, amusante permet au public d’apprécier pleinement des planches de BD et l’univers qu’elles créent.

On sera accueilli par «  Quand l’appétit va, tout va » d’Astérix. Dans cette première salle d’exposition, le public retrouve toutes sortes de figurines alimentaires que l’on obtenait dans des paquets de céréales… C’est une petite madeleine de Proust qui montre que ça ne coûtait rien de placer un mini Astérix ou Gaston dans des paquets de produits alimentaires.

Nous pensons que l’exposition pourra réunir des lecteurs de BD et des non lecteurs. Lorsqu’elle sera exposée à Dijon, elle touchera un public différent de celui d’Angoulême, peut-être plus sensible à la gastronomie elle-même. Sans exclure l’érotisme avec Fraise et chocolat. Ou À la recherche de Jeanne, de Zazie Tavitian sur le chemin de sa grand-mère disparue dans un camp de concentration, à partir d’un carnet de recettes.

Vous ne craignez pas que certains visiteurs souffrent d’indigestion ?

Sans rire, c’est une vraie question parce que nous montons en volume de planches, d’exposition en exposition. Il y en aura plus de quatre cents. On peut penser que les visiteurs ne s’arrêtent pas véritablement sur chaque planche. Chacun, d’une certaine façon, va composer son menu. À nous de lui proposer le plus grand choix pour qu’il trouve satisfaction.

Quand une exposition est remplacée, qu’éprouvez-vous ?

Une forme de nostalgie, d’autant plus qu’on en garde peu de traces hormis des catalogues, des livres, quelques photos. C’est un peu comme lorque l’on referme un livre qu’on a beaucoup aimé. Le fait que certaines expositions tournent après le décrochage à Angoulême permet de prolonger la relation que nous entretenons avec elles.