Édifice organique, de Max Herlin
10 octobre 2022Cette œuvre de Max Herlin, Édifice organique, appartient au Ministère de la Culture. Elle est exposée depuis une quarantaine d’années au Square des Martyrs d’Annecy. Le nom du square et le sort réservé à cet édifice s’accordent parfaitement. Voici la réaction de Max Herlin averti de l’état d’abandon de son travail. Il faut signaler que la mairie d’Annecy, contactée depuis par des amateurs de culture, devrait faire le nécessaire pour que l’Édifice organique regagne un peu de dignité. Reste à ne pas le confondre avec une poubelle pendant le marché de noël, à ne pas le noyer dans l’affichage discutable d’Annecy Paysages.
Conversation avec Max Herlin
« Mes œuvres portent rarement un titre. Je ne veux pas indiquer « Ceci est une vache… » Je veux éviter l’anecdote et faire que le spectateur se demande ce qu’il voit, ce qu’il ressent s’il ressent quelque chose. Mon travail n’est pas là pour transmettre un message mais une émotion. J’espère que le spectateur qui s’attardera aura envie de cette curiosité et d’imaginer ce qu’il veut. Effectivement il y a un « Édifice organique » mais c’est à chacun de l’interpréter.
Émotion et stupéfaction
Pour qu’une œuvre suscite une émotion, il faut encore que les gens puissent la voir dans de bonnes conditions.
Ces espèces de balançoires collées autour sont énormes. Il semble qu’on a tout fait pour « encercler » ma sculpture.
Ces tours en bois font penser à la reproduction du siège d’Alésia sur une ère d’autoroute en Bourgogne.
Exactement. Et puis au départ l’œuvre reposait sur une pelouse. On dirait que la terre au-dessous a été grattée. Il faudrait restabiliser l’ensemble. Une planche servait de fondation, en attendant un socle en béton qui n’a jamais été réalisé. Il faudrait faire qu’elle repose bien sur le sol et remettre du gazon. Elle ne demande sinon aucun entretien. Les mousses y poussent au gré des saisons et font vivre l’ensemble.
Parmi ces images de la vie citadine comme elle va, deux peintures prémonitoires (?) de Max Herlin
Les poubelles élevées au rang d’œuvres d’art ?
Après les tours en bois d’Annecy Paysages le village de noël va de nouveau envahir le square avec ses stands et ses poubelles.
Ces photos m’affligent et me donnent l’impression que je fais partie des poubelles.
Annecy fait son cinéma
Puisque nous parlons d’Annecy, vous avez réalisé les premiers trophées du Festival de Cinéma Italien en 1986. Des bruits circulent sur la disparition de l’événement.
C’étaient les débuts du centre culturel de Bonlieu. Son directeur, Daniel Sonzini m’avait demandé de réaliser un trophée. L’une de mes deux propositions a été retenue. Elle satisfaisait tout le monde. Tout s’est très bien passé pendant des années. Une vingtaine d’années plus tard, une chose étrange se produit. On me dit « Vous ne le ferez plus. » Je n’ai jamais pu savoir pourquoi. Venant d’arriver, Salvador Garcia, pour faire genre « C’est moi le nouveau directeur » m’a dit « Faites-en un quand même cette année. » Je lui ai proposé de le faire en sucre puisque c’était momentané. Cette année-là, Garcia a rajouté six trophées en sucre qui ont été attribués à des réalisateurs connus.
Quand l’art fond ( dans la bouche et dans l’oubli)
L’un d’eux a commenté « Ça poisse ! ». J’espérais qu’une actrice se rende compte que les pièces étaient réalisées en sucre et qu’elle en lèche une. Ça s’est passé comme je l’avais espéré. »
À Annecy ou ailleurs, l’art (il est normal qu’il évolue) devient de plus en plus une vitrinisation et une zimboumboumisation galopantes. Au point que ça sature grave. L’émotion n’a pas le temps d’infuser qu’une autre la remplace. Les édifices organiques que nous sommes tous ne digèrent plus, n’analysent plus. Nous « partageons ». Quoi ? Vaste débat.
Des oublies à l’oubli
On connaît l’anecdote de Rousseau ( Jean-Jacques) offrant des oublies à des enfants. Il semblerait que l’oubli, au singulier, devienne une stratégie. Délibérée ou non. L’œuvre de Max Herlin noyée dans la production d’Annecy Paysages d’une part. L’oubli par Bonlieu de l’hommage rendu à Gaby Monnet au Château D’Annecy d’autre part. Cet homme de théâtre participa à l’essor culturel et artistique de l’après guerre sans lequel rien de la culture actuelle n’existerait à Annecy. Pas même Bonlieu qui arbore fièrement un modeste panneau mentionnant le nom de Gaby Monnet à l’entrée de l’une de ses salles. Et basta!
L’avenir?
Peut-être le départ de Salvador Garcia en avril prochain débloquera-t-il des possibilités, un nouvel équilibre entre la Scène Nationale et la ville. Entre une forme de centralisation culturelle et un redéploiement de pratiques et des relations aux publics. Il y faut la volonté marquée des élus locaux. Le « paysage » culturel de la ville en dépend. Le sort du cinéma italien aussi. La passe d’armes entre Francesco Giai Via et Salvador Garcia lors du dernier Festival du Cinéma Italien est la partie émergée de l’iceberg. La cuture ne serait-elle pas, finalement un véritable édifice organique, un tissu davantage humain que de chiffres, de statistiques, de scénarisation et de pouvoir?
À suivre…