Gaëlle Hersent et Le boiseleur
28 novembre 2022Rencontre avec Gaëlle Hersent qui dédicaçait Le boiseleur chez BD Fugue Annecy le 26 novembre 2022.
L’art
Gaëlle Hersent, d’où vous vient votre intérêt pour l’art ?
Depuis toute petite. J’ai la chance d’être née dans une famille sensible à l’art. J’ai dans mes ancêtres un peintre. Il y a toujours eu un environnement très favorable.
Avec ces deux albums votre travail fait le tour des questions qui touchent à l’art sans jamais être pesant, ni pédagogique.
C’est dû surtout à la patte d’Hubert, à la maîtrise de son scénario. Je suis surtout la dessinatrice.
L’art du dessin
On retient cet hommage justifié mais la qualité de votre dessin est importante. Vous trouvez aussi des solutions inédites pour rendre la notion d’énergie entre l’œuvre et l’espace.
Sans doute parce que j’ai fait du cinéma d’animation. Je me suis beaucoup interrogée pour rendre en 2D un espace en 3D, pour que le lecteur puisse le ressentir. Nous en avons beaucoup discuté avec Hubert. Le tome 2 tient à une anecdote : l’un de ses professeurs avait vu une sculpture de Brancusi qui modifiait l’espace. Les futuristes font aussi partie des références graphiques, notamment cette image de Giacomo Balla représentant un chien qui marche. Le cinéma d’animation introduit du mouvement et de l’espace dans la 2D. Cette voie m’a permis de donner du mouvement à mon dessin et à la sculpture qu’il représente. La perspective seule ne me permettait pas de rendre l’impression de mouvement.
Rendre le mouvement, l’énergie
Avec sa définition de la sculpture Hubert m’a laissée devant un défi incroyable. Le texte donne une énorme part à l’imagination du lecteur. Mais la représentation graphique…d’autant plus que mon dessin est assez réaliste. Je devais rester sur ma ligne de dessin sans partir totalement dans l’abstrait. Le fil était tendu.
C’est toujours la question de l’art, trouver un équilibre entre le plein et le vide, le mouvement et l’immobilité…C’est une création permanente.
Le plein et le vide, cela me fait penser à une lecture de François Cheng. C’est aussi toute la calligraphie et la peinture chinoises. Comment le trait vient rompre le vide de la page et créer ce plein, comment les deux se répondent.
« Boiseleur » ?
Le titre, d’où vient-il ?
Apparemment c’est un mot qui existe pour signifier « le sculpteur sur bois ». J’avais vu une photo dont l’auteur avait écrit en légende « Boiseleur en Turquie ». Il me semble que c’est une photo de Jean-David Morvan, qui a été co-scénariste sur Sauvage, mon premier livre. J’ai retourné ce mot en tous sens pour en créer une petite histoire de vingt lignes. J’étais alors en atelier avec Hubert, qui m’encourageait à écrire. À partir ce texte que je lui ai transmis il a écrit six pages. Travailler avec lui a été parfait. Notre collaboration a été un ping-pong permanent. Il a embrayé sur le tome 2 et m’a annoncé qu’il avait des idées pour le 3. « D’accord, ça me va ! »
L’art et l’artisanat
Je suis presque déçu à propos du titre. Je le prenais pour un néologisme, une sorte d’hapax. L’artiste serait une sorte d’hapax puisqu’il fait quelque chose que lui seul est capable de produire. Il est sinon un artisan. Pour la disparition de Soulages on a entendu des citations établissant la distinction entre l’artiste et l’artisan.
Nous avons eu une discussion importante avec Hubert sur les définitions de l’artiste et de l’artisan. Lors d’un voyage au Japon j’ai appris que, là-bas, la distinction n’existe pas. Ils poussent l’art de ce qu’ils font à un tel point de perfection qu’on ne peut pas dire que c’est de « l’artisanat », avec tout le respect que j’ai pour l’artisanat.
Différences culturelles
En gros, les Européens sont venus au 19° siècle, ils ont dit que les paravents japonais étaient de l’artisanat et pas de l’art ! À voir la perfection de ces paravents, on peut les considérer comme des œuvres d’art…et de l’artisanat. Cette distinction art / artisanat vient de la création des Beaux Arts avec Louis XIV. La peinture, les arts au service du politique, des puissants. Regardez les sculptures des cathédrales, c’est de l’art ! Leurs créateurs ne faisaient pourtant pas la distinction.
Flora, Hubert…l’histoire continue
La place de la femme est très intéressante dans ces deux albums. Votre héroïne est toujours au second rang et c’est elle qui offre finalement une ouverture au héros, à l’histoire. Elle propose le véritable voyage, la véritable aventure.
Le tome 3 aurait dû être consacré à Flora. Par respect, par loyauté envers Hubert, je ne pouvais pas laisser le personnage ne pas se développer un minimum. Je ne voulais pas non plus tomber dans la romance trop vue. Illian et Flora, au fond, ne se connaissent pas vraiment. Lui ne fait que fantasmer cette relation. Une véritable relation nécessite du temps pour se connaître. J’ai opté pour une fin ouverte. Le lecteur peut décider de la suite puisqu’on ne sait pas si Illian va accepter la proposition de Flora.
Un récit initiatique
Ouverture, liberté… La définition de l’art qui est donnée dans vos albums réunit le corps et l’esprit. Comme en amour. Vos albums forment à la fois un conte et un récit initiatique.
C’est vrai. Le premier tome relève plus du conte réalisé à partir de mon texte. Le deux est davantage de la patte d’Hubert : comment on devient artiste. Ces albums parlent de nos vécus, de nos parcours.