Record / anti-record, émerveillement

Record / anti-record, émerveillement

10 janvier 2023 Non Par Paul Rassat

Le record vient de l’anglais. Il est enregistré car il sort de l’ordinaire. Il fait date. Et il existe pour être battu. Le record est donc une contradiction en soi. Il marque l’attention mais est appelé à disparaître, dépassé par un nouveau record. Alors pour marquer chaque record les médias en font des tonnes. Des tonnes qui parfois déteignent et détonnent. Déteignent en politique lorsque le futur président Macron s’égosille et s’éraille. Reprenant malgré lui du Bruel. Rappelons les « Goooooaaaall ! » qui , à la brésilienne marquent chaque but au football. Souvenons-nous de Thierry Roland en 98 «  Je crois qu’après avoir vu ça, on peut mourir tranquille. » On a même inventé le dictionnaire des records, ouvrage éternellement renouvelé et rentable puisque les records sont faits pour être battus.

L’anti-record

L’anti-record n’est pas né d’une quelconque opposition au record. Il lui préexistait, il existe depuis toujours d’ailleurs. Mais on a pu en prendre conscience grâce à l’exarcerbation du record. À l’opposé de la recherche de performance, du challenge, de l’excellence, l’anti-record relève de la vie de tous les jours. C’est parce que notre vie, nos sensations, notre perception du monde s’émoussent que nous avons sans cesse besoin de les renouveler. Nous ferions ainsi de nos vies un record à battre à chaque instant au lieu de goûter pleinement chacun d’entre eux. Cette fuite en avant se retrouve dans les domaines de la politique, de l’économie, de la production, de la consommation. L’anti-record, c’est le quotidien apprécié, déployé.

L’émerveillement de Michael Edwards

 «  Comme l’écrit François Cheng, dans la deuxième de ses Cinq méditations sur la beauté, si l’habitude n’émoussait pas notre pouvoir d’émerveillement, nous verrions toujours le ciel et la terre « comme pour la première fois au matin du monde. »… » L’émerveillement, c’est aussi, à ce stade liminaire, le pressentiment d’autre chose, la conviction d’un possible à réaliser, dans le moi et dans tout ce qu’il observe…Il convient peut-être de ne plus parler de connaissance par l’émerveillement, mais d’inconnaissance, de la conviction qu’il y a là quelque chose, mais que nous ne le saisissons pas. » De l’émerveillement Michael Edwards.

Par-delà les faits et l’effet

Le record, même s’il est fait pour être battu, fige les faits, le chronomètre, la quantité. Il limite le réel à sa mesure. Mais nos vies sont des anti-records à la manière de ce marin qui ne s’arrête pas à la ligne d’arrivée. Il est agréable, aussi, d’imaginer un berger, un enfant, une femme battant un record du monde sans que personne ne le sache, au milieu de montagnes, dans un désert, en pleine vie quotidienne… Alors que, Talpa le rappelle une fois de plus, les gens qui nous dirigent depuis la tête des cordées à exploits, nous ordonnent de regarder la réalité en face, émerveillons-nous de l’instant, comme Michael Edwards. Étonnons-nous du journalier, comme Michel Vinaver. Battons des anti-records puisque le record est, par définition, ce qui est enregistré et nous empêche, en partie au moins, de vivre pleinement le fugitif présent.

Normalitude

Vous rappelez-vous la polémique qui sévit lorsque l’ex compagnon républicain de Ségolène Royal déclara vouloir être « Un Président normal » ? On s’emballa à droite, glosa à gauche, observa au centre. Mais qui parla vraiment de la normalité ? Personne parce que l’on confond dans ces milieux le cours normal des choses avec celui de la bourse. C’est à y perdre le peu de poésie qu’il nous reste, et « Midi le juste » risque de devenir « juste midi ». Confondant l’exactitude, la justice, la justesse et l’étroitesse. Morne norme.