Sortir et témoigner
7 septembre 2022Dernier week end avant la rentrée. Sur le lac d’Annecy les bateaux motorisent leurs dernières escapades à fond sonore. À bord, on se doit de crier pour libérer la joie de fendre les flots et de se fendre la gueule. Tôt le matin, le ski nautique frôle les berges. La citoyenne et le citoyen ont besoin de bouger physiquement, de façon sonore, émotionnellement. Faut qu’ça sorte avant la rentrée ! D’autant plus qu’il faudra patienter dans les bouchons frelatés pour rentrer en ville, après weekend, socialement. Besoin irrépressible de sortir avant de rentrer, de se replier dans un emploi. [ Panneau « Protégez-vous du bruit », anciennes Forges de Cran. Photo © Christophe Rassat]
Le rien et la pensée
À y bien réfléchir, nous déployons en permanence le besoin de témoigner. De quoi ? Que nous existons. Témoigner du niveau zéro de l’existence. J’entendais hier cette dame qui témoigne en milieu scolaire de son passage d’une année dans un camp de concentration. Elle avait alors six ans. Question d’un élève — Qu’est-ce que vous faisiez dans le camp ? — Rien. Témoignage, donc, d’un an de rien total, d’un rien qui cependant n’est pas le vide. Y a-t-il du rien, en effet, quand continue la pensée ?
Témoigner de tout et de rien
Selfies, pornfood, téléréalité, micro trottoirs et maxi reportages avec commentaires marqués de l’accent intellectuel et/ ou d’insistance. Nos vies témoignent d’elles-mêmes. Plus besoin d’être passé dans un camp de concentration, d’avoir accompli un exploit, d’avoir une chose particulièrement profonde à dire, montrer, faire, entendre. Le vide devient exploit. Les réseaux sociaux remplacent les lieux de méditation.
Mettre ses couilles sur la table
L’épée de Damoclès est émoussée. Tout un chacun met ses couilles sur la table sans craindre la castration. Même les femmes revendiquent la couillitude. Est-ce le refus de la mort qui impose de témoigner à flux tendu ? Odon Vallet relève que testament, témoin, travail, Trinité et testicules partagent la même étymologie. Les testicules sont littéralement des petits témoins. Dans l’antiquité « l’homme jurait sur ses parties intimes, prenant ainsi à témoin sa descendance. » Et c’est ainsi, à force de témoigner de tout et de rien, que l’intime devient public, que l’on met ses couilles sur la table et que la mise en scène devient obscène.
Refuges
Les lieux de culture et de méditation seraient-ils les derniers refuges échappant à cette invasion barbare ? Édifices religieux, lieux d’exposition, de spectacles, de concert ? Pascal Quignard avance « Être libre c’est aussi être en exil. Nous sommes originairement des êtres contenus. Il faut trouver un modus vivendi entre appartenance et égarement. » Arriver au refuge, c’est donc se mettre à l’abri des dangers, des intempéries mais aussi retrouver ce moment où parole et pensée sont possibles. Un refuge en soi, entre soi et les autres.