William Laperrière, »boiseleur »*.

William Laperrière, »boiseleur »*.

9 octobre 2024 0 Par Paul Rassat

Rencontre avec William Laperrière, artiste auquel viennent le bois et les formes dont il tire des créations dans une conversation respectueuse de la matière et du temps.

Comment définir votre métier ?

Je me suis souvent senti à cheval, le cul entre deux chaises…

Des chaises en bois que vous fabriquez ? ( rires)

J’ai une formation d’ébéniste, un lien avec ce métier, avec l’artisanat. Et puis j’ai aussi cette tendance à la rêverie, je suis artiste. La conciliation des deux a longtemps été assez confuse. Au départ ? J’ai travaillé dans des ateliers d’ébénisterie mais j’avais une production personnelle en dehors de ce cadre. J’ai d’ailleurs tâtonné au début dans le monde de la sculpture et me suis demandé si je n’allais pas faire de la statuaire. L’enjeu technique m’attirait vraiment. J’avais l’adresse d’un maître en Italie, un vieux professeur. Avant de le rencontrer j’ai visité une exposition d’art moderne à Florence, qui a confirmé mon désir : la statuaire, non ! L’art moderne laisse plus de liberté en ceci qu’on ne recopie pas quelque chose d’existant. On n’y est pas prisonnier de la figuration. Quand je me suis rendu à l’atelier du vieux maître, il y avait sur les murs des portraits de Mitterrand, de Romy Schneider… Tous ces personnages aux yeux vides m’ont donné l’impression de me retrouver dans un cimetière.

C’est pour cette raison que vous affichez votre empreinte plutôt qu’un autoportrait classique.

C’est plus abstrait, oui !

Combien de temps vous a-t-il fallu pour trouver réellement votre voie ?

J’y arrive seulement maintenant, alors que j’ai soixante ans. Je me sens vraiment bien, pas tiraillé d’un côté ou de l’autre. J’intègre volontiers la part de métier, de savoir-faire, tout ce qui est produit de la main au produit de l’intellect. Je ne fais pas de distinction entre les arts libéraux et les arts de la main. Pour moi, c’est la même chose. Je pense avec le corps. Il m’a fallu longtemps pour y parvenir, pour l’accepter. (cf Jean-François Billeter citant Lichtenberg : «  On ne devrait pas dire « Je pense », mais «  Ça pense en moi. ») Les choses se rééquilibrent, j’accepte volontiers les deux parties de ce qui me compose.

Qu’est-ce qui vous a tourné vers le travail du bois au départ ?

À la fois le hasard et quelque chose de latent. Le hasard parce que je faisais beaucoup de bêtises à l’école.

C’est parfois bon signe, de vivacité d’esprit, de volonté d’indépendance.

On a pensé que je ne serais pas capable de suivre longtemps des études, alors on m’a orienté vers autre chose. Ma mère ne voulait pas que je fasse de la mécanique comme mon père, mon grand-père dont les doigts étaient pleins de graisse, ne sentaient pas bon.

Tout gamin, j’avais déjà un contact assez intime avec le bois. Chez mes grands-parents, je piquais l’Opinel de ma grand-mère, j’allais dans les bois tailler les noisetiers. Le bois, j’en ai eu une impression très tôt. Cette matière fibreuse, élastique qui se travaille dans un sens, pas dans l’autre.

Cette matière ne se travaille pas n’importe comment. Il faut la connaître, la respecter pour en faire quelque chose.

Ça reste vivant, même l’arbre abattu. Sous d’autres formes.

Comment l’artiste que vous êtes s’exprime-t-il ? Vous devez respecter la matière, sans doute un cahier des charges pour répondre à une commande.

Ce que j’imagine relève plutôt de l’équilibre, du partenariat avec la nature. Je ne refuse pas ce que le bois m’amène. Ce que l’arbre a été demeure toujours. Contrairement au métier d’ébéniste, je n’impose pratiquement rien. L’ébéniste passe beaucoup de temps à dessiner, à planifier. Il contrarie le bois. Même s’il utilise les qualités physiques de celui-ci, il impose beaucoup. Moi, je compose.

Penone dit qu’il va chercher des formes déjà présentes dans la nature, dans la matière.

Les formes sont déjà là, il faut les respecter. Ce n’est pas pour rien qu’un arbre a des branches dans ce sens plutôt qu’autrement. Interviennent le terrain, les accidents, l’environnement. L’arbre a pris une vie qui est la sienne. Unique. Quand je donne un nom, un titre à une pièce, j’indique aussi les coordonnées GPS de l’endroit où l’arbre a poussé.

Aucun arbre ne s’est plaint de mauvais traitements que vous lui auriez fait subir ? ( rires).

J’ai toujours été respectueux. Travailler le bois impose d’être respectueux.

D’autant plus peut-être que ce travail se fait dans la durée, il nécessite du temps qui permet d’établir une conversation avec l’arbre, avec la matière ensuite.

Quelque chose se passe entre nous. Il arrive que cette durée prenne la forme d’une transe. J’ai même appelé l’une de mes sculptures Stupéfaction. Pendant la semaine passée à la tailler j’étais complètement dedans. Elle m’a emporté. Ça, par exemple, c’est un pommier qui a dû subir des choses que je ne saurais pas expliquer.

Vous êtes psychanalyste des arbres !

Je n’explique pas, je me laisse guider, j’écoute l’histoire. Là ce pommier a eu des branches coupées, pourries. Se sont créés des creux à l’intérieur. Certaines se sont tordues, elles ont fusionné entre elles. La forme de l’arbre devait être vraiment chaotique. Quand j’ai récupéré la souche pour la travailler, l’intérieur était complètement cosmique. C’est ce qui m’a emmené vers une dimension cosmique.

Lorsque l’on s’adonne pleinement à une activité, il est possible d’être en relation avec le cosmos.

D’autant que le bois est une matière vivante qui n’est pas passée par des machines industrielles. Il vient de la nature à moi !

Il vient à vous ?

De toute ma carrière, je n’ai pas acheté un seul morceau de bois pour faire une sculpture. C’est toujours le hasard qui me l’a amené. Quelqu’un qui me dit : « Tiens, j’ai un pommier, un séquoia..est-ce que ça t’intéresse ? » Ça fait partie des hasards de la vie, comme notre rencontre et notre conversation aujourd’hui. Je découvre le bois, je le respecte et nous composons ensemble; c’est comme avec une personne.

Vous êtes compositeur ? Est-ce que, d’une certaine façon, ce n’est pas vous que vous travaillez avec le bois. Vous vous réalisez en fabriquant quelque chose.

Un court silence. Je ne suis pas étranger à la forme qui naît. La composition se fait à deux, le morceau de bois de cet arbre en particulier et moi. Il y a une vibration qui vient d’une part et de l’autre. Qui se donne. Il ne faut pas la contrarier. Parfois, parvenu à la limite, je sens une rupture possible. Alors je laisse de côté. Certains morceaux de bois sont restés deux ans à la pluie, trois ans. Je reprends et pof, ça se reconstruit.

C’est vous qui vous êtes construit entre temps.

Oui, ma perception est différente, comme la relation avec la matière, avec la forme.

Est-ce que vous éprouvez une émotion particulière à revoir l’une de vos pièces installée chez un acquéreur ?                                                                                                                  Pendant le travail, l’attachement est fort ; mais je cherche un équilibre, pas une forme de vérité définitive. Ça fonctionne, et au bout d’un moment, une fois la pièce finie, ça redescend au bout de quelques jours, de quelques mois. Il y a un détachement. La pièce vit d’elle-même, elle est dans un autre contexte et vibre différemment. Je n’aurais pas d’explication rationnelle, dictatoriale pour imposer «  Ça, ça représente ça !, et ce sera immuable ! »

Le détachement est nécessaire pour continuer à créer autre chose.

C’est nécessaire, même s’il y a des voies récurrentes. Des manières, des façons de faire, des idées.

Vous avez votre empreinte ! Avez-vous une idée du nombre de pièces que vous avez réalisées ?

Des centaines, mais je ne sais pas précisément parce que je ne cherche pas la production. Je ne travaille pas de manière systématique. Je produis des séries parce que je suis dans un état d’esprit. Je travaille à l’instinct, sans planifier. Je ne produis pas un travail de recherche avant d’entreprendre ; j’ai besoin d’être au contact pour que ça se fasse ou que ça ne se fasse pas.

Le bois vient à vous. Et les formes ? Elles sont conditionnées par la qualité du bois, son volume ?

Avant, je cherchais à imposer… Nous allons voir les sculptures pour mieux comprendre. L’ébéniste qui veut faire un meuble purge les défauts. Il va chercher les meilleurs morceaux. Moi, je fais avec tout ce qui est fissures, les nœuds, qui apportent leur présence.

On pourrait presque établir un lien avec le système scolaire, nos élus qui veulent nous faire rentrer dans des cases au lieu de faire avec. On peut établir un parallèle entre le bois et la société : les deux nécessitent une approche humaine, humaniste et respectueuse. Qui s’intéresse à votre travail et vous achète des créations ?

Les clients les plus récurrents sont les restaurateurs et l’Église. Ils sont également en quête de sens. Ils représentent des lieux où l’on va commémorer, où s’accomplit une célébration, un partage, un sacrifice.

Nous sommes maintenant à l’extérieur de l’atelier, là où William stocke ses pièces de bois. Une belle portion de tronc était couchée sur le sol. Maintenant dressée, elle attend sa destinée.

Imaginer quelque chose avec. Le redresser, l’avoir en présence physique.

Une conversation s’entame comme avec un être humain ?

Ah oui ! Il y a une présence différente. Il est beaucoup plus animé en position dressée, érigée. Il rejoint un peu son état de vie antérieur. Chaque fois que je passe, il se produit quelque chose. 

La notion d’élévation est présente, comme dans la réalisation que vous allez installer au Clos des Sens. Vous recherchez toujours un mouvement.

C’est la matière qui le suggère. J’ai très peu fait de pièces couchées. Henry Moore faisait beaucoup de « personnages » couchés… Les billes qui sont là semblent attendre qu’on obtempère. Je n’apprécie pas le rapport anthropomorphe. S’il apparaît, c’est accidentel. La nature reproduit parfois des schémas…au stade embryonnaire, on est quasiment le même qu’un végétal.

Nous parlions du temps nécessaire à votre travail. Il y a aussi le temps accumulé dans le bois. Vous travaillez à l’intérieur du temps.

Penone remonte le temps couche par couche. Moi, je garderais plutôt la forme extérieure, qui me fait penser à l’expansion. Je ne suis pas dans le retour en arrière mais dans l’expansion, dans la dynamique.

Pour accompagner cette idée d’expansion, William nous amène devant l’un de ses dessins.

Je pars d’un mot qui se déploie comme des ondes qui s’expanseraient, se confondent les unes aux autres, s’imbriquent. Ce processus nous emmène vers l’infini. J’aime partir de rien pour aller vers l’infini. Nous sommes une enveloppe, avec l’infini à l’intérieur et l’infini à l’extérieur.

Cette pensée rappelle le travail des céramistes Valérie Hermans et Jean Girel avec lesquels nous avons émis la pensée que leurs réalisations unissent le plein et le vide et que la fragile paroi de céramique serait comme un écran sur lequel défilent nos vies. Entre l’infini et l’infini.

Il faudra rencontrer de nouveau William qui écrit « par besoin, naturellement ».

Encore un peu de poésie

Quelques lignes de la main de William Laperrière, « volées » sur son site :

 » Comment tous les axes du monde peuvent-ils se confondre en un seul ?
La géométrie divine est si mystérieuse qu’elle est soluble dans l’espace
Face à cette dérobade l’homme est devenu topologue, mais les rames de la mathématique s’épuisent en temps réel face à l’éternelle remise en cause de l’infini
Alors pour apaiser notre appétit de vérité, nous mangeons à la table des mythes et d’une digestion
à l’autre, refaisons le plein d’esprit « 

* Boiseleur