Bernard Maris, l’Antimanuel d’économie (2005)
6 février 2023Quelques passages piochés dans le livre de Bernard Maris de qui la voix chantante vibre encore.
« Tu dois jouir et tu dois participer à la compétition. »
Jean Baudrillard. La fausse liberté de consommation
« …la liberté et la souveraineté du consommateur ne sont que mystification. Cette mystique bien entretenue ( et en tout premier lieu par les économistes) de la satisfaction et du choix individuels, où vient culminer toute une civilisation de la « liberté », est l’idéologie même du système industriel, en justifie l’arbitraire et toutes les nuisances collectives : crasse, pollution, déculturation – en fait , le consommateur est souverain dans une jungle de laideur, où on lui a imposé la liberté de choix…Le drugstore et l’isoloir, lieux géométriques de la liberté individuelle, sont aussi les deux mamelles du système »
George Orwell. La guerre, c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage.
« En d’autres mots, il est nécessaire qu’il ait la mentalité appropriée à l’état de guerre. Peu importe que la guerre soit réellement déclarée et, puisque aucune victoire décisive n’est possible, peu importe qu’elle soit victorieuse ou non. Tout ce qui est nécessaire, c’est que l’état de guerre existe. » ( cf Russie d’aujourd’hui).
Jean Baudrillard. Le paradoxe tragique de la consommation
« C’est là le paradoxe tragique de la consommation. Dans chaque objet possédé, consommé, comme dans chaque minute de temps libre, chaque homme veut faire passer, croit avoir fait passer son désir – mais de chaque objet approprié, de chaque satisfaction accomplie, comme de chaque minute « disponible », le désir est déjà absent, nécessairement absent. Il n’en reste que du « consommé » de désir. »
Oscar Wilde
« Un cynique est celui qui connaît le prix de toutes choses et la valeur de rien. » ( D’où le sempiternel appel aux valeurs émanant de nos dirigeants).
Jonathan Swift. La pauvreté dans l’abondance
« L’Angleterre …produisait , d’après certains calculs, trois fois plus de choses à manger que ses habitants ne pouvaient en consommer, ainsi que d’excellentes boissons, qu’on fabriquait avec des graines, ou qu’on tirait des fruits d’un arbre, en les écrasant, et il y avait la même abondance de tous les biens nécessaires à la vie. Mais afin de satisfaire la sensualité et l’intempérance des mâles, et la vanité des femelles, nous expédiions vers d’autres pays la plus grande part des produits qui nous sont nécessaires, et nous y achetions des tas de choses faites pour répandre les maladies, la sottise et le vice parmi nous. Il en résulte forcément que des foules de gens de chez nous en soient réduits, pour vivre, à se faire mendiants, brigands, voleurs, filous, entremetteurs, faux témoins, parasites, suborneurs, faussaires, tricheurs, aigrefins, lèche-bottes, faiseurs, électeurs marrons, écrivassiers, astrologues, empoisonneurs, souteneurs, mouchards, pamphlétaires, libres-penseurs et autres occupations du même genre. »
Jean-Marie Harribey. La monnaie-trompe-la-mort
« Pourquoi cette soif inextinguible d’accumulation de capital qui agite l’humanité, surtout ceux qui ont déjà le plus accumulé ? La volonté de pouvoir ? Mais pourquoi ? L’hypothèse freudienne : l’angoisse de la mort. Posséder, jusqu’à satiété, bien matériels et symboles qui y sont associés rassure en procurant un ersatz d’éternité. Mais le leurre ne trompe pas longtemps les assoiffés. Aussi ne peut-il fonctionner que si la possession de capital est réservée à une frange minoritaire maintenant à distance la plèbe majoritaire. Si j’ai et que tu n’as pas, je suis ( ou, du moins, je crois que je suis) plus que toi….=La monnaie est le reflet des antagonismes sociaux et en même temps le moyen de canaliser la violence présente dans les sociétés humaines à l’intérieur de rails à peu près supportables, c’est-à-dire vers cette soif de richesse, exutoire à l’angoisse morbide le plus accessible, et susceptible de dégénérer de façon un peu moins violente que le fanatisme religieux ou la conquête du pouvoir : la monnaie comme substitut aux rites sacrificiels, l’exploitation de l’homme par l’homme comme vestige de l’anthropologie. » in La démence sénile du capital. (On notera que les crises successives du capitalisme ont exacerbé le fanatisme religieux. Bernard Maris en a fait les frais alors qu’il dénonçait les excès du capitalisme!).
Keynes
« Il vaut mieux avoir tort avec la foule, que raison contre elle. » Ce qui est une autre manière de dire « il faut suivre le mouvement » et ce que les économistes modernes comme André Orléan ont traduit par/ « Il est rationnel d’être irrationnel. »
John Kenneth Galbraith
« Le facteur important qui contribue à l’euphorie spéculative et à l’effondrement programmé, c’est l’illusion que l’argent et l’intelligence sont liés. »
George Gilder
« Imposer davantage les riches c’est affaiblir l’investissement ; parallèlement donner davantage aux pauvres, c’est réduire leur incitation au travail. »
Conclusion, de Bernard Maris
« Le grand débat était, en filigrane de ce livre, celui du « marchand » et du « gratuit ». L’homme n’est ni cupide, ni généreux, il es les deux, et beaucoup plus encore. L’économie a réussi à accaparer de nombreux mythes : la liberté ( le marché libre), l’égalité ( l’égalité des consommateurs, des actionnaires, l’égalité du salarié qui choisit son patron autant que le patron choisit son salarié), le bien-être sans doute, le bonheur. Mais deux mythes lui sont à jamais interdits : la gratuité et la solidarité.
Et pourtant, il doit paraître clair…que la gratuité et la solidarité font la croissance, l’invention, la richesse, malgré la concurrence, essentiellement inefficace. L’économie marchande accapare ce qu’elle n’a pas le droit de s’approprier : l’esprit de gratuité de la recherche et de solidarité qui explique la synergie et les rendements croissants. »
Pour Bernard Maris, le capitalisme ne peut fonctionner qu’en s’appuyant sur « une série de types anthropologiques qu’il n’a pas créés [parce qu’antérieurs à sa venue] et qu’il n’aurait pu créer lui-même : des juges incorruptibles, des fonctionnaires intègres…et éducateurs qui se consacrent à leur vocation, des ouvriers qui ont un minimum de conscience professionnelle, etc. »
« Capitalisme et pulsion de mort » Gilles Dostaler et Bernard Maris
« Fuite vers la liquidité », « soif inextinguible de liquidité », « désir morbide de liquidité », comment qualifier autrement la demande angoissée des banques et des institutions financières aujourd’hui, au milieu de la tempête boursière qu’elles ont déchaînée, parce qu’elles étaient mues par une cupidité insatiable, un désir d’argent infini ?… Le capitalisme est un moment particulier de l’histoire humaine où la technique et la science sont dévoyées vers la surproductivité du travail, où la croissance de la production des marchandises supposées répondre aux besoins devient infinie, et où l’argent, ne servant qu’à accumuler plus d’argent, devient aussi une fin en soi. » Il s’agit aussi d’économiser du temps et de prétendre ainsi échapper à la mort. « Les comptes ne sont jamais soldés dans ce temps cumulatif, le temps du capitalisme. Jamais on ne s’arrête. Jamais l’équilibre ni la paix ne sont atteints. El laïcisant le temps, en en faisant cet objet de dilatation et d’accumulation à la fois, les hommes ont récupéré, monnayé et échangé ce qui n’appartenait qu’à Dieu, brisant l’interdiction religieuse du prêt à intérêt. Par la technique, ils pensent toucher au divin. Empiler, accumuler sans trêve pour s’approcher de Dieu… »
« L’humanité, en croissance indéfinie, accumule à l’infini pour satisfaire des besoins tout aussi infinis. » Et les auteurs de citer « les Indiens Caduevo étudiés par Claude Lévi-Strauss ou les Achuar de Philippe Descola…Marschall Sahlins explique « Ils sont dans un rapport de fraternité avec la nature, que traduit ce terme de « parentèle. » Le prix à payer pour sortir de cette fraternité fut l’exploitation de la nature et du travail. Besoin et besogne ont la même racine… »