Denis Ferrand, économie et intuition

Denis Ferrand, économie et intuition

3 février 2023 Non Par Paul Rassat

Brève conversation avec Denis Ferrand (directeur général de Rexecode) à l’occasion de son intervention du 12 janvier 2023. Il avait été convié par les FIPS (Forces Industrielles des Pays de Savoie) qui officialisaient leur création. Alors que les FIPS parlent d’intelligence collective, avec Denis Ferrand il a été question d’intelligence et d’intuition. Excellent cocktail auquel il convient d’ajouter la vivacité et l’humour de cet interlocuteur. Comme quoi l’économie peut être passionnante, vivante. À l’inverse de cette injonction récurrente à regarder la réalité en face, à suivre la vérité des chiffres.

Examiner et imaginer

Comment définiriez-vous votre boulot ?

Je suis économiste prévisionniste. Ceci consiste à essayer d’unir deux temps, faire le diagnostic de la situation économique du moment pour imaginer comment des circonstances économiques que l’on connaît peuvent s’enchaîner pour aboutir à plus ou moins de croissance, plus ou moins d’inflation, imaginer qu’à la fin l’économie fonctionne ou pas. Mais une économie qui fonctionne est capable de distribuer du niveau de vie à sa population.

Il faut donc des qualités d’analyse importantes pour mouliner toutes les données.

Ce boulot consiste à regarder dans le pare-brise tout en regardant dans le rétroviseur.

Le strabisme créatif    

Ça provoque déjà un sacré strabisme ! Boutade mise à part, il faut regarder les régularités du passé qui nous éclairent sur ce qui peut advenir. Le tout est cependant de comprendre que chaque situation est originale mais prise dans une sorte de continuum. Il faut quantifier comment peuvent réadvenir les occurrences du passé, pas forcément avec la même ampleur que l’on a connue. Notre boulot est de regarder énormément de données pour les faire parler entre elles. Les relier.

Travailler « en bonne intelligence »

C’est la définition étymologique de l’intelligence, relier et lire. Au début de votre intervention, vous avez parlé de « chocs disjoints qui forment une coagulation ». Ceci nous renvoie aux analyses de Lionel Naccache : notre perception de la réalité repose sur des informations «  discrètes », séparées et finies, que notre cerveau mouline pour créer en permanence notre relation à nous-mêmes et au monde. On rejoint votre travail : plus il y a de données, plus le résultat est riche, plus on peut le partager.

Il est important d’articuler, de trouver la logique, s’il y en a une. Le droit à l’échec existe. Il permet de se réorienter. Le sous-jacent des mouvements permet de séparer l’accessoire de l’important. C’est malheureusement souvent l’accessoire qui est mis en avant.

L’économiste et le politique

Les politiques fonctionnent différemment ?

Ils ne regardent pas les mêmes choses. Je regarde l’économie. Ils regardent des circonstances autres. L’expert est là pour décrire un chemin. Le politique fait accepter le chemin à une population. Il doit prendre en compte une gamme de contraintes autrement plus étendue que celles du champ économique.

Le bon économiste ne prend donc pas le risque de faire de la politique ?

Il n’y a pas pire financier qu’un économiste. L’économie est une science humaine.

Penser différemment

Lors de votre intervention de ce matin, vous avez abordé la notion de risque et de choix personnel mais conscient. L’affichage obligatoire et pavlovien de la bienveillance et d’autres poncifs interdit la réflexion personnelle. Cette réflexion, vous l’enrichissez.

Vous donnez à mes mots une profondeur à laquelle je n’avais pas pensé. Il est intéressant que vous ayez utilisé le mot « bienveillance ». Il s’utilise aussi par rapport à une construction sociale. Une représentation que l’on peut se faire à priori de la société et avec laquelle on ne veut pas se mettre en discordance. À la fin, il ne se passe rien ! Ceux qui ont fait avancer les choses, ce sont ceux qui se sont mis en marge…Newton, ceux qui pensent autrement. Ceux qui vont aller chercher le phénomène original et lui donner une consistance appropriable par la société. Une intuition qui rencontre un moment social.

Qu’il est agréable d’entendre parler d’intuition dans un domaine présenté habituellement comme aride et bien peu humain. Nous rejoignons ainsi Étienne Klein, Cédric Villani et bien d’autres… Ainsi que Jean-Louis Étienne proclamant  » L’écologie, c’est fun!«