« La disparition », par le Groupe Fantôme

« La disparition », par le Groupe Fantôme

2 juillet 2022 Non Par Paul Rassat

Une apparition bien présente au Festival de Malaz que cette disparition offerte par le bien nommé Groupe Fantôme dont le nom évoque une apparition. Dans cette danse quantique  mise en scène évoluent différentes approches d’une possible réalité.

Quelques phrases extraites du spectacle et leur effet

« Tout ce que nous allons vous raconter est faux…c’est la métaphore de ce qui nous est arrivé réellement..Faites semblant de nous croire jusqu’à ce que vous nous croyiez. » «  Nous n’allons pas vous manipuler. Si nous vous manipulons, nous le ferons avec douceur. » «  Tout ce que nous allons vous raconter est vrai. » «  Je ne sais pas si vous…, je ne sais pas quel..  » Le trio d’acteurs joue à merveille de ces procédés qui créent une complicité avec le public, le mettent en confiance pour le déstabiliser ensuite. Plus rien n’est certain. La force de la voix, une musique appropriée vous emportent dans la science fiction, en poésie, dans le partage de l’émotion, dans le souvenir, le rêve, le jeu…Tentative de se retrouver nu, vrai en plongeant dans l’eau métaphorique d’un lac. « La réalité n’est que le délire collectif que nous avons organisé. »

Rencontre

Conversation d’après représentation avec Clément Aubert et Romain Cottard pendant que Paul Jeanson, dans une autre dimension de la réalité, se restaurait un peu plus loin.

L’origine de ce monde

Comment est née l’idée de ce spectacle ?

Nous travaillons ensemble depuis quinze ans. Il nous est arrivé réellement un événement que nous ne dévoilons pas, même en interview.

Je ne peux même pas savoir si ce que vous me dites est vrai.

Cet événement s’est réellement produit. Il nous a beaucoup bousculés. Nous avons eu envie d’en parler, mais pas directement. Il a fallu réfléchir à son impact qui a bouleversé nos vies, nos grilles de lecture. Nous sommes donc partis de ce postulat pour raconter notre histoire : un événement qui vient bousculer la vie d’un groupe, comment on se reconstruit quand les trames du réel sont complètement brouillées. Comment on invente une fiction qui permet de supporter le chaos du réel.

À chacun sa grille de lecture

Nous avons beaucoup réfléchi à une écriture cinématographique pour la construction du scénario. À partir de ce qui lui arrive, chaque personnage apporte une couleur, mystique, scientifique ou autre. Chacun apporte sa grille de lecture qui contribue à l’acceptation du réel. Qui permet de survivre. Nous nous accrochons à des bouées de sauvetage qui nous permettent de mieux supporter le réel, ou d’en dévier pour plonger dans un réel décalé. Ça peut être la religion, les stupéfiants, le sommeil, le déni, les TOC…

Vous parlez d’un temps cyclique. Nous entretenons nos angoisses et nous rassurons en même temps.

Oui. Nous partons de nous. Chacun a eu une façon différente de traverser l’événement en question. Le réel est un kaléidoscope de  perceptions singulières et subjectives dont le total donne un aperçu de la réalité.

Aristote et la quintina

On attribue à Aristote cette formule «  Le total est supérieur à la somme des parties ». Et l’un de vos personnages évoque la quintina, cette cinquième voix que l’on perçoit alors que quatre seulement sont chantées. Il y a toujours quelque chose en plus quand tout fonctionne bien, et alors l’enfant disparu (voir le titre) réapparaît.

C’est ça.

Dépasser les contradictions

On peut voir aussi dans cette pièce une métaphore du jeu de l’acteur, du théâtre. Mentir et être vrai à la fois.

Comme dans la physique quantique rien n’existe en substance mais dans une tension. Celle qui s’établit entre le personnage et l’acteur crée le jeu. C’est une dynamique. Notre rapport au réel est lui aussi fait d’interactions dynamiques. Cette pièce est l’histoire d’individus qui cherchent leur part manquante en eux-mêmes. Par la mise en abyme, par le spectacle qui se déroule, ils retrouvent une interaction qui leur permet d’exister comme individus. C’est un retour aux autres. Nous disons « Regarder le vide ensemble, c’est déjà ça. »

De quelques références

Il serait bienvenu que vous donniez toutes vos références de lecture.

Quand on jouait à Paris, il y avait une petite bibliothèque qui les donnait. Notamment Carlo Rovelli pour la physique quantique, Clément Rosset avec Le réel et son double, Dieu par la face nord de Hervé Clerc…

Explorer la réalité, encore.

Vous allez continuer à créer dans cette veine ?

Notre prochain projet traitera des utopies, de notre société, des possibles. Les neurosciences  nous montrent comment notre cerveau fait tout pour détruire plein de choses. La dopamine sécrétée en récompense de la possession de toutes sortes de biens n’est qu’un paradigme qu’il faudrait modifier pour retrouver le bonheur ou un état de calme sans courir après ce qui conduit à la destruction de la planète et à la nôtre.

On entend ce discours depuis un certain temps. Si vous trouvez la clé, c’est génial !

On ne trouvera pas la clé, mais on posera des questions.

Rachid Benzine dit que la poésie ne change pas le monde mais qu’elle change au moins notre relation au monde.

Et grâce à La disparition, l’analyse de « En attendant Godot » que je poursuis depuis un moment s’enrichit. Oui, nous cherchons notre part manquante. Et la pièce de Beckett relèverait elle aussi de la physique quantique !

Lipogramme

Pour Talpa La disparition renvoie forcément au titre du roman de Georges Pérec. Un lipogramme écrit sans la lettre e. Procédé inventé pour repartir du vide, de l’absence et renouer des liens supportables avec un réel. Écrire sans e, c’est pour Pérec écrire sans eux, sans les membres de sa famille disparus dans les camps. Parvenir à se retrouver sans eux. Et avec eux, puisque la disparition consiste à montrer l’absence, la présence du vide.

Quelques réflexions talpiennes

Le spectacle étant interactif, Paul, Clément et Romain nous invitent en cours de route à donner nos impressions. Et quand un spectacle lui convient, Talpa creuse encore plus vite. Référence à Pérec, donc. Aux films Le cercle des poètes disparus et Blow up. À la musique de Laurie Anderson, aux perspectives truquées de Escher, au Quatuor d’Alexandrie  de Lawrence Durrell, à Godot, bien sûr…