Le Goûter des chefs de Relais Desserts

Le Goûter des chefs de Relais Desserts

16 avril 2024 0 Par Paul Rassat

La présentation magistrale de ce Goûter des Chefs s’inspire du lac d’Annecy que l’on aperçoit d’ailleurs de l’Impérial où se tient l’événement. Patrick Agnellet a voulu montrer où il puise son inspiration. Tous les chefs ont contribué à cette présentation artistique qui rend hommage aux communes riveraines du lac. Une pièce montée coiffe chaque table de présentation. La pièce maîtresse, cependant, semble être Pierre Hermé. Disponible, souriant il se prête au jeu de la conversation, des photographies. Il trouve même un moment pour bavarder. Nous abordons en premier les origines communes d’Hermès et d’Hermé. Celui-ci serait -il une sorte de messager des dieux ?

[Joseph Paléni, Pierre Hermé. Aimé Jacquet et Patrick Agnellet. P. Agnellet et Mme Marchand, épouse de son patron d’apprentissage.]

— Mon nom est, je crois, de provenance germanique, protestante, mais je ne connais pas mes origines.

Pendant l’installation des buffets vos confrères disposaient leurs pâtisseries, prenaient des photos, bavardaient. J’y ai vu cet esprit d’enfant que Patrick Agnellet aime rappeler. On retrouve, bien que vous soyez bardés de titres et d’honneurs, cette curiosité spontanée.

Quand je me balade en France ou à l’étranger, si je remarque une pâtisserie, je traverse la route et je vais voir, quel que soit le type de commerce, une petite boutique ou une grande, prestigieuse ou non. Dans la plus petite pâtisserie il y a toujours quelque chose d’intéressant à voir. Beaucoup de mes confrères partagent cette curiosité. Quand on est passionné par son métier, on a envie de voir ce que font les autres. Relais Desserts a cette particularité qui permet d’échanger de manière libre, amicale, sans esprit de compétition. On gagne beaucoup plus dans l’échange qu’à rester chacun chez soi à garder ses secrets.

Certains desserts proposés aujourd’hui semblent très simples, d’autres très complexes.

Derrière une apparente simplicité peut se cacher une complexité. Le plus important est de savoir si c’est bon ou non. C’est le seul tribunal. Certains décors sont très travaillés ; moi, je propose des macarons1 qui sont tout aussi travaillés mais c’est moins visible car le travail porte essentiellement sur le goût.

Nous évoquions Hermès, le macaron rappelle l’hostie, la perfection de la rotondité, une forme de densité exprimée simplement.

C’est drôle, ma compagne m’a proposé, il y a deux jours,  de réaliser des macarons surmontés d’une hostie 2. Ceux que je propose ici intriguent. Une personne m’a demandé si ce sont des produits salés. Non, le macaron est toujours sucré, il est très difficile de fabriquer ce type de biscuit de manière salée. Alors j’utilise des ingrédients de l’univers du salé que j’incorpore à une réalisation toujours sucrée. L’algue nori, par exemple, apporte une touche iodée, salée dans la macaron au chocolat. Je propose aussi pour ce Goûter des Chefs un autre ingrédient plus inhabituel dans le domaine du sucré, c’est l’ail noir. Sa profondeur de goût est très intéressante mais il y faut le contrepoint acide du vinaigre balsamique de Modène.

Ce travail, vous le faites…

Dans ma tête. Une fois que j’ai eu goûté une crème à l’ail noir utilisée pour une autre recette, l’évidence s’est imposée.

Tout est rangé dans vos neurones, dans vos capteurs sensoriels.

C’est la mémoire du goût…

Comme les nez pour le parfum ?

J’ai composé dix-sept parfums pour L’Occitane. C’est le même travail, le même fonctionnement mémoriel à la différence que le goût sollicite deux organes et l’odeur un seul.

Comment travaille votre cerveau ?

Dans la phase de création je m’affranchis de toutes les contraintes. Une fois que le produit existe on regarde comment le ramener dans le rationnel. Si l’on pose plein de contraintes dès le départ, c’est du marketing et non de la création. Il faut s’affranchir des contraintes et il faut que ce soit une personne qui décide ; ça ne peut pas être un compromis. Notre métier de création nous laisse toute liberté.

Quel lien avez-vous avec la dimension artistique ?

Notre métier relève de l’artisanat. Il y a par contre une vraie dimension artistique dans la partie créative. Depuis le début des années quatre-vingt-dix j’aime bien confronter mon métier à d’autres disciplines artistiques comme le design, la photo, le parfum, le jardinage, la découpe de papier,etc. Je suis en train de travailler à un livre qui retrace tous ces dialogues créatifs avec d’autres disciplines. C’est très enrichissant pour moi et pour mon métier et, je crois, tout autant pour les gens avec lesquels j’ai travaillé. Par des dialogues, nous sommes rentrés dans nos univers réciproques. On fait souvent des collaborations aujourd’hui. Pour moi, la collaboration n’est intéressante que si elle est placée sous l’égide du sens. Mettre ensemble deux marques pour produire un truc différent, ou non, ne présente aucun intérêt. Il faut toujours du sens né de ce que rien n’est prédéfini. Aucun dialogue ne ressemble à un autre.

C’est là que s’impose, une fois de plus, une citation « La conversation ne se contente pas de battre les cartes : elle en crée de nouvelles…de la rencontre entre deux esprits naît une étincelle… »

                                                        De la conversation Théodore Zeldin

Vous établissez une différence entre l’art et l’artisanat : si j’arrive à manger une toile de Picasso, je réduis son travail à de l’artisanat ?

Là, vous raisonnez par l’absurde ! (rires). L’art, disait quelqu’un, c’est quand on ne voit pas le labeur de l’homme. Lorsqu’on réalise une pâtisserie on voit qu’il y a du travail. Cette différence s’efface dans la phase créative. Ce que j’apprends à mes collaborateurs ? À se défaire des contraintes dans le travail de création pour les ramener ensuite en trouvant les solutions qui permettent de les intégrer. Ce système de travail est fondamental.

Tout à l’heure vous disiez « Il faut que ce soit enrichissant pour moi et pour mon travail. » Vous ne séparez pas les deux.

Mon métier, c’est aussi pour ma maison, mon entreprise ; tous ces dialogues font partie du patrimoine de l’entreprise.

Avez-vous l’impression de travailler quand vous créez ?

Jamais !

La réponse fuse, la voix très posée de Pierre Hermé chante l’exclamation créative.

Jamais, jamais, je n’ai jamais l’impression de travailler !

Notes

1.

« L’exposition qui a eu lieu au Musée d’art moderne de Paris ( en 2021) s’appelait Les Flammes L’Âge de la céramique. Elle montrait des productions contemporaines, avec une figuration très violente. Il y avait des pièces de grandes dimensions, très torturées, des matières arrachées, disloquées. Je présentais un bol comme ça. C’est tout. Je suis retourné à l’exposition tranquillement en-dehors du vernissage. J’ai vu une jeune fille qui pleurait devant mon bol. Un bonheur que ce que j’ai tenté de mettre dans ce bol provoque une telle émotion ! » Confidence de Jean Girel, céramiste, maître d’art.

2.

Il est intéressant de renvoyer à ces quelques lignes que Roland Barthes consacre à la DS Citroën dans Myhologies : « La « Déesse » a tous les caractères…d’un de ces objets descendus d’un autre univers…on s’intéresse moins en elle à la substance qu’à ses joints. On sait que le lisse est toujours un attribut de la perfection parce que son contraire trahit une opération technique et tout humaine d’ajustement : la tunique du Christ était sans couture…»