René Meilleur, autodidacte de père en fils

René Meilleur, autodidacte de père en fils

10 mars 2023 Non Par Paul Rassat

Une première rencontre avait eu lieu en juillet 2019 avec René et Maxime Meilleur. La conversation se poursuit parce qu’elle nourrit le livre à venir qui regroupe des autodidactes, oxymores vivants et pensée en arborescence. Ils opèrent dans les milieux de la céramique, du théâtre, de la littérature, du spectacle, de l’entreprise, de la gastronomie…Le hasard ? fait que plusieurs habitent Cluny ou les environs. Deux Le Reposoir. René Meilleur a bâti son établissement à quelques encablures du sanctuaire Notre Dame de la Vie. Talpa creuse la question de cette relation au paysage qui crée une harmonie en l’intérieur et l’extérieur. Voici l’échange avec René Meilleur, 3 étoiles au Guide Michelin. ( Photo : la coupole de Notre Dame de la Vie).

Lors de notre première rencontre, vous m’aviez dit à plusieurs reprises de visiter le sanctuaire Notre Dame de la Vie. Vous avez insisté. Et c’est ce que j’ai fait. Pourquoi y êtes-vous autant attaché ?

C’est notre enfance. En montagne, on était très catho. Les gamins allaient à la messe, au catéchisme. Mais c’est aussi un endroit magique d’où on voit toute la vallée. Un endroit magnifique et reposant. Parmi les artisans qui ont édifié ce sanctuaire, il y avait beaucoup d’Italiens. La chapelle devait être construite ailleurs et puis le bois se serait retrouvé une nuit à l’endroit de la construction d’ aujourd’hui. On y croit ou non, mais les esprits  de toute cette vallée en ont été marqués.

Le sanctuaire n’était donc pas prévu ici, et vous, vous avez échappé à toute prévision en devenant autodidacte. C’est vous qui vous êtes construit.

Je voulais être chez moi, monter un petit restaurant pour travailler, faire ma vie, élever une famille. Je voulais rester dans ma vallée. J’aurais pu m’installer à Val-Thorens ou aux Ménuires mais c’était tout au sommet. Je suis resté près de mon village d’enfance, là où mes parents m’ont élevé, où je suis allé à l’école. Il était donc normal de rester à Saint-Marcel. Et puis, La Bouitte était un passage obligatoire à l’époque pour les skieurs qui arrivaient dans notre vallée. Ils descendaient hors piste et arrivaient directement chez nous.

Les ex-votos de Notre Dame de la Vie sont magnifiques. Ils sont la manifestation concrète de quelque chose de spirituel. D’une certaine manière, la cuisine est aussi de l’esprit transformé en matière et de la matière transformée en esprit.

Je pense que les gens qui ont peint ces ex-votos n’étaient pas des peintres mais des autodidactes. Ils se mettaient sur le coin de la table pour peindre ce qu’ils ressentaient. Les cuisiniers réalisent des plats en relation avec ce qu’ils ressentent dans leur vie. En se baladant, en voyant un produit. Tout est lié. Le spirituel est lié aussi à la transmission, à ce qu’ont fait nos parents.

Vous avez un côté poète. Quelle serait votre définition de la poésie ?

C’est simplement d’aller au bout des choses. Comprendre à un moment ce qu’on veut faire et aller jusqu’au bout, ne pas s’arrêter au milieu de la route. Pour créer un plat en faisant plaisir à nos clients, accueillir. La poésie ne se limite pas à l’écrit. Elle est naturelle.

Dans « Étymologies pour survivre au chaos » Andrea Marcolongo écrit que le mot latin poesis remonte à un verbe grec signifiant «  je fais, je produis, je fabrique », sans jugement porté sur le résultat. Que ce soit une table, une sculpture, une chaise ou bien l’ «Énéide . » »

Nous avons évoqué Notre Dame de la Vie. J’ai rencontré des gens remarquables autour de Cluny et de son abbaye. D’autres au Reposoir.

Ce sont des endroits reposants. «  Reposoir » veut tout dire. C’est ce que j’éprouve au milieu de la montagne, sans un bruit. Il n’y a pas vraiment besoin d’autre chose que reposer, avoir du temps. Aujourd’hui tout le monde court. Ceux qui viennent nous voir à La Bouitte nous donnent de leur temps. Je suis admiratif de tout ce qui se passe autour de moi. Il se passe toujours quelque chose. Les nuages, le temps qui change, la végétation, les arbres à mesure que vous avancez dans la journée.

Vous êtes dans la relation au monde, à la nature et aussi dans la transmission. Vous recueillez des recettes mais vous passez aussi ce que vous êtes, ce que vous avez fabriqué à deux générations.

J’ai eu beaucoup de chance que Maxime veuille bien venir avec moi. C’est lui qui l’a décidé. Maxime reprend l’affaire mais je ne suis pas parti. Je suis là pour rester jusqu’au bout. Et mon petit fils va arriver dans quelque temps après avoir fait ses armes. Travailler à six mains sera génial.

Votre rôle va évoluer.

Sa place, on la trouve toujours quand on n’a pas d’ego et qu’on est suffisamment intelligent pour laisser la place aux autres. Nous allons trouver une harmonie entre nous trois. Je ne suis pas quelqu’un qui réfléchit…pour mes plats si, bien sûr. Pour le reste, je laisse venir.